GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Grands principes de l’économie > La chaîne de production chinoise

La chaîne de production chinoise

mardi 11 novembre 2014, par Grosse Fatigue

Comme je suis rentré tard de la randonnée en VTT (Oui, il faut éviter les acronymes, mais il faudrait aussi éviter les parenthèses, mais ceci n’est pas littérature), comme la maman était fatiguée et les enfants trépidant, comme on devait faire des crêpes et comme c’était l’Armistice, et comme l’Armistice n’est plus un jour férié dans les très grandes surfaces de mon patelin, comme nous avions la flemme.

Nous avions donc des excuses.

Pour aller au buffet chinois.

A l’entrée il y avait la queue et des Français de tous poils salivaient déjà devant ces merveilleux mets tout droits sortis de boîtes de conserves arrivées par avion de je ne sais où. Mais comme nous avions la flemme et comme maman était fatiguée et comme... Une jeune chinoise avec accent et sans papier enfin j’imagine nous a proposé une table que j’ai soulevée moi-même afin de l’installer avec quatre autres afin que nous puissions être toujours six. Puis j’ai regardé les Français autour de moi. Mes enfants ont déjà l’œil et se sont indigné de voir cette mère mi-obèse mi-méchante ne pas finir ses assiettes et en laisser la moitié avant d’aller se servir à nouveau. Pendant ce temps je me suis souvenu de l’exposé de recherche d’un groupe d’étudiants en licence de sociologie circa 1986 en province. Ils avaient filmé un sacré objet d’étude : les gens qui fréquentaient les restaurants exotiques.

CAR OUI AVANT, DES RESTAURANTS EXOTIQUES, BEN, TIENS : y’en avait pas. C’était donc une curiosité. Et, de même que personne ne faisait confiance aux Japonais en matière de bagnoles et que l’on voit où l’on en est, eh bien, personne ne faisait confiance à des étrangers, ou alors seulement des Italiens, pour nous faire de la bouffetance de qualité. Il fallait donc comprendre quelle catégorie sociale essayait de se distinguer des autres en allant picorer dans le premier restaurant chinois du coin. C’était, c’était...

C’était l’aventure. Les trois clampins réalisateurs avaient filmé, interrogé des snobs d’un nouveau genre. La plupart du temps, je faisais parti des types fauchés comme les blés qui bouffaient même chez Krishna pour deux balles en échange d’un prospectus vert et d’une promesse de se raser les cheveux. Devenant chauve l’année d’après, je n’eus rien à faire.

Le petit me demande si tu rêves papa ?

- "Non, je compare les analyses de ma jeunesse à la fac post-marxiste et méga-bourdieusienne par rapport à ce que je vois aujourd’hui de la France dans ce restaurant chinois industriel.
- Et y’avait beaucoup de méchants ?
- Où ça ?
- Dans ta fac post-marxiste j’ai pas compris la suite...
- Et t’as compris post-marxiste ?
- Oui, tu nous as déjà expliqué, c’est quand les marxistes ont laissé tomber l’économie pour faire dans le culturel et le relativisme qui a fini par les flinguer eux-mêmes.
- Tu veux des nems ?
Et tous en chœur, les autres de chanter : "Ça riiiiiiime ! "
- Non, y’avait pas vraiment de méchants. On était un peu bêtes. On croyait par exemple que c’était vraiment très très exceptionnel de manger chinois. En fait, tu vois, on n’avait rien vu venir. On n’avait vraiment rien vu venir. Et d’ailleurs, personne n’avait rien vu venir. On n’a rien prévu. Même ce prétentieux de De Rosnay n’a pas vu venir le SIDA, internet, la mondialisation, la chute du mur, la pipolisation des imbéciles, le string, le smarphone, la fin de la bonne musique populaire, la génération des enfants-rois et celles des parents obéissant aux enfants-rois, les...
- Papa, tu radotes et t’as pas cinquante ans ! Arrête un peu !
- Je m’excuse."

Je suis retourné dans mes pensées. La matinée fut brève et rude derrière des types vingt ans de moins que moi au chômage. Le chômage donne des ailes aux cyclistes : tenez-le vous pour dit. Même les amateurs en bénéficient. Il faut que je roule beaucoup pour les suivre. C’est donc l’entraînement. Je ne peux pas écrire à la fois. J’ai choisi le vélo. Ça n’est pas très malin.

En partant, je demande à la serveuse chinoise si beaucoup de gens font comme cette truie immonde et divorcée, à ne pas finir son assiette tout en se resservant, à l’évidence pour se venger de ces Chinois qui la nourrissent pour que dalle et qu’elle déteste tout à la fois. La serveuse me répond que les gens vont jusqu’à leur piquer le papier-toilette et les bambous dans les bacs. Ils ont les crocs.

Je la salue en lui souhaitant bon courage. J’aurais bien aimé l’embrasser sur la bouche mais elle était si petite et j’étais si père de famille.

Voilà donc où nous en sommes de la chaîne de production chinoise. Et ce n’est qu’un début, car il faut un début à tout. Ajoutez à cela l’éternel recommencement, laissez bouillir et surtout, ne faites aucune prévision.