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La semaine d’après, des selfies encore.

vendredi 31 octobre 2014, par Grosse Fatigue

La semaine d’après, les gens auront tout oublié. C’est étrange de relire le journal de la semaine dernière. J’ai l’impression que je suis le seul être au monde à relire le journal de la semaine dernière pour cause d’éloignement. Il était dans ma valise en arrivant à Rome. Je viens de le relire. Je sais déjà que les faits flamboyants de la semaine dernière se sont éteints aussi vite que des feux de paille. Chaque jour, des milliers de feux de pailles nourrissent nos yeux écarquillés qui n’en demandent sans doute pas tant. La semaine dernière, c’était donc le patron de Total, l’ami de tous, mais pas le mien. Un type totalement inutile avec une moustache d’avant-guerre et des considérations d’avant-guerre. Un type dont le monde parle avec sympathie car ce monde-là ne dure que deux ou trois jours rien d’inquiétant. Il n’y a plus rien qui dure toujours, nous sommes devenus pour de bons infidèles et ceux qui dorment en paix n’ont vraiment rien à craindre. Hier, un patron inutile, aujourd’hui un type de vingt et un ans tué par un gendarme. Demain je ne sais pas et je préfère ne pas savoir. La semaine d’après, le désert, le vide.

Au milieu des ruines de Rome. La lumière du soir nous fait des ombres immenses et la température descend avec sa compagne, la nuit. Novembre 2014 commence demain. La mode est américaine, maquillages et potirons. L’ocre et le jaune se mélangent dans les briques du même cru. Des Indiens du Pakistan nous vendent des tiges pour y pendre nos smartphones, et les gens se prennent en selfies avec retardateurs devant ce qui reste de l’éternité endormie, des atrocités passées, des cirques, des empereurs et des gladiateurs. Les journaux aiment à dire que l’Occident attend à nouveau son heure. Il me semble qu’ils l’appellent "Europe", comme une sorte de déesse déchue dont je cherche en vain la statue quelque part, entre les hordes d’Américains obèses faits de plastique épais et de caoutchouc. Des milliers d’années coulent lentement avec ce dédain solennel du temps qui passe. Tout s’effondre, les murs tremblent en permanence mais nous laissent l’impression lascive de l’éternité. Ici, pas d’actualité. Les Romains de l’antiquité nous apprennent la folie. Celle des grandeurs ne date pas d’hier, et l’Empire State Building vaut bien le Colisée.

Lequel disparaîtra en premier ?

Les millions de sourires égoïstes au bout des tiges pakistanaises assurent à ceux-là une survivance rabougrie. Je les vois le soir derrière des camions bondés où ils dorment à quatre sous des cartons déchirés. Ceux qui les ont vus comme moi ont déjà oublié.

Restent les selfies. Regarde, je suis là.