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A l’angle de la Piazza Navona

dimanche 26 octobre 2014, par Grosse Fatigue

Rome reste Rome. Comment font-ils ? J’ai lu le livre de Philippe Ridet, [1], lui sait de quoi il parle. Je ne fais que traîner de gelateria en gelateria avec les enfants. Mes propres enfants qui font des photos au zoom avec le compact de leur mère. Ça n’est pas si grave d’être un touriste même si l’on ne parle pas l’italien et que l’on se sent impuissant. Rome n’a pas pris le pli marketing des villes du futur. Les Anglais s’en lamenteraient sans doute depuis qu’ils sont devenus américains. Les Espagnols n’y croiront pas, les Allemands riront peut-être en silence. Les tours de verre ne serviraient à rien. Seule l’usure des pierres nous réconforte. Et la rue reste la rue, les graffiti d’extrême-droite réclament la sortie de l’OTAN, qui en emporte le vent, les feuilles et même le soleil se laissent aller à flirter avec une sorte d’été pourtant - théoriquement - disparu depuis au moins deux mois. Des communistes d’après les défilés quittent leurs années soixante-dix dans le noir & blanc irréel du soir qui tombe déjà, près du Vatican, cet Etat dérisoire qui n’aime que la nuit.

Je ne sais pas ce que serait vivre à Rome. Mais y passer vous délasse de la pesanteur.

A Rome ?

Rien de nouveau.

Les scooters roulent en trombe dans les rues piétonnes qui n’existent pas. On se surprend à vivre encore lorsque les Romains s’arrêtent pour vous laisser traverser la rue. Des catholiques brésiliens viennent acheter des babioles sans doute fabriquées chez eux ou dans une quelconque Chine par de quelconques esclaves qui y croient encore. Rome ne change pas. Des Pakistanais se font passer pour des commerçants indiens comme partout dans le monde et vendent en rêvant des bâtons de ski au bout desquels des crétins fixent leurs téléphones portables, non pas pour être plus près de dieu - vous pensez bien - mais pour s’immortaliser devant le Colisée. Le selfie a envahi le monde réel. Le ridicule ne tue vraiment plus rien ni personne. La mort s’en donne à cœur joie de l’autre côté de la mer, là où les touristes français n’osent plus aller. Il est vrai que l’on préfère les dictatures sûres à leurs embryons radicaux.

A l’angle de la Piazza Navona, près du Pakistanais qui vend des marrons chauds calibrés et si tellement carrés qu’on les croirait poussés sous serre, un kiosque nous propose le monde tel qu’il est, un peu plus ici, sans doute : des bondieuseries à tire-larigot, des panoplies plastiques de gladiateurs, des posters de salopes si nues qu’elles en paraissent désuètes et le calendrier anniversaire de Mussolini. Je ne sais pas ce qui me choque le plus si ce n’est que plus rien ne me choque, à part le goût de la glace à la pistache qui ressort en ce coin-là d’un véritable miracle, comme si l’industrie n’existait pas.

Rome est ce qui pourrait nous arriver de mieux, mais ça n’est qu’un rêve.


[1(L’Italie, Rome et moi, Flammarion)