GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Impuissances > Les animaux en 3D

Les animaux en 3D

lundi 13 octobre 2014, par Grosse Fatigue

Je lis dans un magazine américain que 96 éléphants disparaissent chaque jour. J’ai aussi vu des bonnes femmes acheter des insecticides au supermarché. Tout ce qui rampe ou vole gênent les bonnes gens. Les éléphants doivent gêner aussi.

Pour les animaux, c’est sans espoir. Le vieux Ernst Jünger observait la chose avec l’impuissance qu’il convient, quand il partait à la chasse subtile, celle aux insectes, aux scarabées, aux libellules, que sais-je encore. J’ai la chance de ne pas avoir fait latin, ce qui me permet d’éliminer tout à la fois de mon vocabulaire et de la surface de la terre autant de bestioles qu’un fermier américain ou que sa femme hygiéniste. Qui s’intéresse encore aux animaux ?

Il reste bien Brigitte Bardot mais c’est sans doute pour mieux pleurer sur les clébards que sur le phalène du bouleau ou du marronnier. D’ailleurs, en tapant le mot "phalène" dans Google™, c’est sur la photo d’un chien que l’on tombe. Saloperie de clébard.
Je n’ose avouer au petit qu’il ne verra jamais ailleurs que dans un zoo des panthères et des singes, des éléphants ou des flamands roses, des gorilles ou des morses, j’en passe et des meilleurs. J’aimerais bien l’emmener au zoo des idées d’autrefois, où l’on croiserait pêle-mêle Mengelé, Le Pen et Pinochet, ou Georges Bush junior et même Walt Disney. Les enfants adorent avoir peur, à condition qu’on leur explique. Pour les horreurs, il n’est nul besoin d’un zoo, ni même d’un musée : l’avenir s’écrit avec un "h", comme dans bombe, mais au pluriel.

Pour les animaux, on a trouvé mieux que les vrais. Car les vrais sont morts ou presque, il n’y a qu’à voir l’écureuil du jardin, écrasé comme dans un dessin animé, mais incapable de se relever de ses deux dimensions automobiles. Je me demande même comment les hérissons survivent encore. Non, pour les animaux, il y a maintenant les dessins animés, la 3D et les jeux vidéo. Si les gamins aimaient les bestioles quitte à leur faire du mal autrefois, les voilà aujourd’hui condamnés à aimer les créatures débiles des productions américaines en guise de consolation. Car il faut tuer l’enfance et ses questions aussi sûrement que les hérissons pour les routiers. On dirait qu’ils gênent autant l’un que l’autre. Faire des enfants des adultes avant l’heure, toujours occupés, connectés, jouant, obnubilés, triturant du clavier, voilà qui fait la paix des divorcés heureux. Pour les animaux, personne ne viendra plus jamais pleurer, quoi de plus ennuyeux que les zoos depuis qu’ils se sont mis en tête de sauvegarder la biodiversité dans leurs congélateurs ?

Quant à moi, j’essaye encore, avec mes modestes moyens, de m’émerveiller devant la sauterelle vert fluo qui trônait devant la maison à la fin de l’été. Nous avons aussi pris des photos des araignées multicolores dans leurs toiles, et des toiles elles-mêmes, en soufflant de la farine dessus, pour jouer un peu.

L’avenir est à la vie virtuelle, au divertissement permanent. Il n’y a plus que la mort qui nous paraîtra réelle.

Si quelqu’un a une solution contre la mort, qu’il la vende aux Américains. Nombre d’entre-eux s’imaginent si utiles qu’ils voudraient poursuivre la destruction jusqu’après la leur. Pourvu qu’il reste quelques bactéries, un ébola ou la grippe aviaire, si jamais l’extension du domaine de la 3D finissait par nous encercler, nous, les gentils.