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Ne pas penser à la rentrée

vendredi 22 août 2014, par Grosse Fatigue

J’ai décidé de ne pas penser à la rentrée. J’ai rencontré des Belges dans le Galibier. On dirait des Français sans la prétention. Ils ont amené des bières de chez eux et de l’alcool de sureau. Imaginez des Français qui amèneraient du pinard local en Belgique : ça n’existe pas. Autant dire que je suis à plus de deux grammes. Des grammes qui pèsent lourd et me permettent d’oublier l’absence de perspective de septembre, quand il faudra rempiler et revoir mes chers collègues et de nouveaux étudiants défendus par leurs parents. L’analphabétisme a de l’avenir des deux côtés du versant, et je crains de ne pas remonter la pente, comme en remontant du Lautaret tout-à-l’heure, vent de face. Mais c’était bien. Au Lautaret, il y a une sorte de nougat délicieux à deux Euros cinquante. J’en rachèterai l’année prochaine. Je pense déjà à ce grand saut, un saut annuel, comprenez un saut dans l’oubli, ou le déni, de ce qui va se passer de septembre à juin. Je dois oublier que cela vient. Je dois oublier que l’on décapite des journalistes américains, que l’on voile les femmes de force en Irak alors que Mona Chollet les défend en France. Je n’ai jamais aimé les scaphandriers et je sais déjà que tout cela va faire partie de l’actualité, avec notre bon président Hollande, l’homme de la voix sans issue (ce n’est pas une faute : c’est juste un manque d’imagination), le retour prochain du FN dans des élections probables, ainsi que la recherche de la croissance. Pour celle-là, que l’on ne compte pas sur moi. Je n’ai plus envie de rien. Je pense que c’est lié à l’âge. J’ai raté ma vie, je surveille mes enfants : pas sûr qu’ils soient bien réussis. La plus grande écoute de la mauvaise musique devant moi. Elle a grandi trop vite. Elle pense à la rentrée. Le petit aussi. C’est une joie à leur âge de penser à la rentrée car ils ne sont pas assez partis pour être revenus de tout.

Je ne suis pas allé bien loin mais je suis revenu de tout. Y compris du Galibier tout à l’heure, dont j’ai compris qu’il était un objectif annuel pour lutter contre la finitude de ma vie. Tout le monde devrait un jour grimper le Galibier avec un vélo. Surtout les commerçants qui rêvent de trekking au Maroc au volant d’un Landrover™ chinois. Dans mon délire en descente, je rêvais d’anarchie comme d’une sorte d’Ebola : un virus inattendu mais salvateur, qui viendrait s’immiscer jusque dans les veines des passagers du métro. Je rêve que du monde entier monte un grondement contre la rentrée, plus qu’un ras-le-bol, une envie, un à quoi bon : la fin des grandes croyances. On reporterait à un autre jour les conflits et les projets, les investissements inutiles, les achats de matières jetables. Même premières. C’est un véritable défaut que de rêver ainsi à mon âge comme je rêvais que Delphine me montre ses seins AVEC ENTHOUSIASME quand j’avais dix-sept ans. Oui, c’est mal. Mais l’enthousiasme devrait être l’essence même de tout travail. Et, franchement, pour la rentrée, je vais en manquer énormément. Je pense à la pétition qui nous sauverait : pour une interdiction du travail salarié quand ça nous plaît pas. Pétition con mais pas compétition.

Et qu’on ne me demande pas d’être réaliste : j’ai bu.

J’aimerais que les gens qui n’aiment pas la rentrée m’écrivent en me disant qu’ils n’aiment pas la rentrée. Même si, d’ici là, j’ai déssaoûlé. (Oui, ça s’écrit aussi avec deux S).