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Hommage à la classe moyenne. Catalogne !

lundi 2 janvier 2012, par Grosse Fatigue

J’ai passé une semaine à Barcelone comme ne le voulait pas Claude Lévi-Strauss. La haine du touriste et du tourisme. Pour une fois, il n’avait pas tort. L’emploi du temps de l’homme moderne lui impose des pauses sans volupté à l’intérieur de ruches industrielles aux couleurs fades, le tout concocté sur-mesure par des penseurs sur internet, histoire de pouvoir partir au dernier moment, n’importe où, puisque c’est pareil.

Je hais les hôtels. Payer pour dormir. Un comble.

Mais il y a pire.

Enfant (la semaine dernière et même avant le décollage), j’imaginais la Catalogne libre, Georges Orwell, et Malraux en arrière-plan. (Mais flou, parce que Malraux, c’est mieux flou, donc plutôt à f:2,8 maximum). Il y a bien des impacts de balles sur le bâtiment des douanes. Mais c’est tout ce qui reste de l’esprit de la guerre civile. Franchement, qu’on ne compte pas sur moi pour l’indépendance de la Catalogne. Ou alors, il faudra changer de fournisseur.

Par contre, le décor est parsemé ça et là d’objets d’assez mauvais goût, afin que tout le monde s’y retrouve. Une architecture qui n’a pas fait école, des sculptures géantes comme des centres Pompidou (un seul suffit, non ?), et puis tout un discours de pacotille. Le tourisme, c’est la vie.

Je tourne autour du pot. Je ne suis pas très clair.

C’est sans doute parce que je sais que j’ai tort. Que l’attente n’en valait pas la peine, et qu’il faut être bien naïf pour croire qu’une seule ville d’Europe puisse aujourd’hui et dorénavant ressembler à autre chose qu’un centre commercial où se dandinent des Anglaises boudinées et de jeunes français imbibés bien avant minuit. L’exotisme est aussi rare que la politesse, ou les gens honnêtes et pas pressés. Le soleil fin décembre doit suffire à la clientèle.

Les bars à tapas. Les bars à tapas. Les bars à tapas.

J’ai donc regardé la classe moyenne mondiale. Ses tatouages quand elle a moins de trente ans. Ses piercings quand elle en a moins de vingt. Ses consoles portables quand elle en a moins de douze. J’ai même suivi un gamin qui jouait avec une tablette numérique le long de la mer en marchant derrière ses parents. Il n’a rien vu. Ne sachant pas s’il fallait abattre le père, la mère, l’enfant ou les méchants du marketing. Ou la société en général. Le divorce qui viendra en fera peut-être un révolté, il faut garder espoir. J’ai donc rangé mon flingue et je suis retourné au café. Depuis deux jours, un grand Noir naufragé dormait sur un banc, à l’ombre d’un platane sans palabre. Trois cent mille personnes ont défilé devant lui. Môssieur a eu son 14 juillet pour lui tout seul, sacré veinard !

Je le regardais en buvant un café, ne sachant toujours pas si j’aime ou non le café. Les clodos ont cette capacité d’invisibilité. J’imagine qu’il a tout perdu en partant de Tanger. Qu’il a fait du stop. Qu’il a mis un temps fou pour arriver ici, avec nous, la classe moyenne. Qu’il en rêvait même dans d’autres mots. Il n’avait rien de ce que l’on portait. Ni symbole social ni sac bariolé d’une grande marque espagnole™. Il doit ignorer Orwell et la Catalogne. Je crois même qu’il n’a pas très faim tant les poubelles sont pleines. Je suis même sûr qu’il n’a pas vraiment froid puisqu’il faisait 20° le premier janvier face à la mer. C’est peut-être le seul homme alentour à avoir des rêves, de l’ambition. Il faudrait un miracle, bien sûr. D’autant plus que les catholiques sont à la peine et que les miracles se font rares. Je divaguais en le regardant dormir depuis deux jours. J’avais un peu honte. J’ai vraiment souvent un peu honte. Mon côté artiste, sans doute.

Une chose est sûre : personne ne lui a souhaité la bonne année !

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Et puis l’ambulance est arrivée.

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Je me demande qui va payer pour rapatrier le corps.