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Je compte en Francs constants

mercredi 30 juillet 2014, par Grosse Fatigue

Quand mon copain d’enfance Peter Pan s’invite à ma table, je compte en francs. Parfois il n’y a pas de table et plus du tout d’enfance et ça me prend comme ça je compte en francs comme mon père en anciens francs, symbole que je fais partie de ceux qui sont définitivement vieux.

J’ai compté en francs à la concession Tayato™ tout-à-l’heure. Ça me fait bien marrer le beau discours managérial et les questions en ligne pour savoir si Monsieur Fatigue est satisfait du service rendu. Malika était paumée et aussi débordée que le lait sur le réchaud sachant qu’elle est plutôt jolie et moi chaud : c’est l’été quand même. Au bout d’un quart d’heure promis pour une vidange qui dura une heure et demi, moi qui lisais la presse locale pour voir à quel point tout est tranquille dans nos patelins, j’attendais l’addition sans l’enthousiasme du guide Michelin™.

Et puis là : cent cinquante quatre Euros cinquante trois. J’ai tout de suite trouvé les cinquante trois centimes extrêmement mesquins pour un quidam dans mon genre. Car il faut dire que les vaches à lait qui ne savent pas faire la vidange eux-mêmes comme autrefois mes copains perdus qu’ont fini mécano, ben, faut pas hésiter : faut les traire ! On est passé à l’Euro™, c’est bien plus discret la traite des gens d’aujourd’hui. Et puis après, Malika m’a regardé avec ses gros seins aussi solitaires que les baleines du temps du Général Cousteau en noir & blanc et m’a demandé comment je réglais. Elle n’a pas dit "payer", j’imagine que les théories managériales à la nippone se sont faites au vieux fond catholique de par chez nous qui nous croit détester l’argent. On ne paye pas, on règle. Malika, je lui aurais bien réglé son compte mais d’une autre manière si j’étais encore séduisant comme je l’étais à la fête de la musique en 1985, avec ces crétins qui cherchaient un batteur pour reprendre du Cure™, tu parles d’une sinécure. Mais là, avec mon short et mes traces de potager sur les sandales en soldes, j’avais l’air d’un con qu’on traie d’un coup bien sec. J’ai dit "en carte" mais je voulais dire "en francs".

Ben voilà Malika : je règle en francs. Parce que je trouve que le monde exagère : j’ai gardé les vieux repères de ma jeunesse, de mon enfance, qui faisait qu’une baguette ne coûtait quand même pas plus de dix francs ! Le privilège de l’âge m’indispose mais je l’utilise parfois à bon escient tout de même ! Je règle en francs ! Voilà ! L’Euro, c’est pour les amnésiques, les moins de vingt ans qui ne peuvent pas connaître, ça fait passer la douloureuse en époque de déflation tiens : c’est étrange ça ! La déflation : on la touche presque du bout des doigts avec nos chômeurs écarlates, cinq-cents de plus chaque jour, et pas en anciens ! En maintenant, en chômeurs vivants ! La déflation ! Mais de quoi parle-t-on au juste ?

Malika cette conne qui aime Etienne Daho et en fait la remarque à la mémère à teckels sûre de son bon choix de couleur de la carosserie, Malika m’accompagne comme on raccompagne les touristes en Tahiti : j’y crois, je vais peut-être lui mettre une main aux fesses, pour le prix, ça ne peut pas lui faire de mal et puis, le féminisme étant en berne, je veux dire en schisme depuis madame Badinter, autant se laisser aller à la glissade !

Non, c’est qu’elle veut récupérer un autocollant dans la bagnole et les housses de protection. Je lui dis au revoir et elle aussi.

Après, je mijote. Plus à la manière d’un roti dans la bagnole qu’est franchement vieille pour de nos jours, où c’est qu’on met à jour tous les ans. Je mijote pas un plan, je reprécise, je mijote comme on rétrécit. Je mijote une idée pour revenir en francs, pour revenir en arrière. Je sais, c’est passéiste et presque nauséabond, mais la vidange ou la baguette ont atteint des sommets insoupçonnés. Je ne sais pas si je dois prévenir les enfants. Qui sait, il y aura peut-être pénurie d’huile dans dix ans ou de farine un jour. Je me calme en lisant "La maison écologique", une revue mensuelle pleine de gens qui pédalent dans la semoule en décroissant. Avec trois bouts de ficelles, ils vous font une baguette durable et la partagent avec d’autres gens, ce qui me fait un bien fou.