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Géographie monotone

mardi 29 juillet 2014, par Grosse Fatigue

Sonia me demande ce que je pense de la ville maintenant. Il est vrai que je l’ai quittée il y a dix-huit ans, Sonia. Et la ville aussi. C’est une ville de province qui avait autrefois sa réputation, ses ruelles, ses produits locaux. Aucun magasin de cette ville de mon enfance n’avait un nom équivalent ailleurs. Le vendeur de chaussures portait le nom de son père, comme son magasin. Les vendeurs de disques rêvaient de l’an 2000 et l’on ajoutait ce nombre aux devantures, pour faire futur.

Sonia me dit, alors, qu’est-ce que t’en penses ?

Je réponds que c’est joli. Oui, ces rues pavées, ces arbres déjà grands à peine plantés dans des trous carrés, quel effet ! On dirait que la ville du XIXème repousse par en-dessous, comme si les bombardements étaient enfin effacés. On dirait que tout est fait pour la pacification. Le quartier piétonnier est immense. Les pauvres circulent en tramways flambant neufs. Les femmes voilées aussi. Il y a tellement de voiles qu’on dirait le départ du Vendée-Globe™. Sonia me traite de facho tout en me disant qu’eux-aussi le sont. Nous sommes bien d’accord. Le maire a installé des caméras auxquelles je n’ai pas fait attention car c’est normal, il y en a ailleurs. Il reste aussi des quartiers où il vaut mieux ne pas s’attarder, mais qui s’attarderait là-bas ?

Les restaurants font de l’assemblage et l’on se pose sur les mêmes chaises que dans la prochaine ville, à cent-huit kilomètres, le trajet autorisé des diligences partant de Paris. Je sais qu’à cent-huit kilomètres à la ronde, je retrouverai les mêmes restaurants, les mêmes magasins de chaussures, la même libraire, Sonia. C’est la géographie monotone. On rentre dans les villes par des Los Angeles de zones commerciales, aux néons incertains et clignotant : le commerce en ligne fait pousser les jachères parfois. A moins que les usines désaffectées ne servent à nouveau d’entrepôts quand on y vante la logistique. On ne peut plus se perdre nulle part et découvrir au hasard. Google™ a tué le hasard, aidé par des urbanistes et des spécialistes du marketing.

Je rêve du bordel d’autrefois. Et même des embouteillages de 4CV en R16. Yves Montand, Lino Ventura.

J’achète des livres de poche™ de Philipp K. Dick. Quelle idée de s’appeler comme ça. Quoique, si jamais je devais un jour pondre quelque chose, j’aimerais bien m’appeler Marcel Labite. Je trouve que ça sonne bien.

Mais je n’ai aucun sens du marketing.

Le nouveau parking souterrain est terminé. Les gens peuvent s’y garer directement, et aller acheter des choses que l’on trouve pareillement ailleurs. Je ne connais plus personne ici et c’est irréversible. Je suis rentré par l’autoroute en oubliant de lancer un co-voiturage. Je vais m’arrêter faire boire mon cheval à la prochaine ville, des fois qu’il y ait un trou dans l’espace-temps....