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Ça finira par péter
mardi 29 avril 2014, par
J’entends cela depuis trente ans. Le fascisme qui grimpe, le monde qui s’écroule, la crise, les banlieues. Ça finira par péter, ça finira par péter. Même ma mère disait ça.
Je regarde les grilles du bord de mer à Biarritz, et les balcons des immeubles. En les voyant, j’ai moi aussi des certitudes : ça finira par s’écrouler. La tempête de l’hiver dernier a raboté le béton, les digues, les grilles. Des balcons sont soutenus par des étais temporaires à plusieurs endroits. Le sel de la mer est aussi le sel de la vie : il s’insinue. Des coulures de rouilles dégoulinent des immeubles et nous ne sommes qu’en mai. L’Atlantique aura un jour raison. De grandes villas feront elles aussi le plongeon du haut des falaises, comme c’est le cas en Normandie et ailleurs. Tout s’écroulera. C’est sans doute pour cela que des investisseurs bétonnent l’arrière-pays, et que l’autoroute vers l’Espagne est élargie à nouveau. Mais la rouille viendra et me rassure : la laideur est passagère, du moins au niveau du temps géologique, qui n’est pas le nôtre.
Ça finira par péter. C’est ce qu’un ami de longue date m’envoie par SMS. Il me parle du 6 février 1934, des racailles, des banlieues et des femmes voilées. Il me parle tout autant de son impuissance que de la mienne à vieillir sans n’avoir pu rien dire ni faire. En 1984, nous rêvions d’une France à jamais métissée et sans origine, mais très française, universelle. Nous rêvions. Nous avons suivi le courant car il n’avait rien d’alternatif. Il fallait en finir avec les Lumières, et les poncifs du multiculturalisme (en plus simple : les principes américains) l’ont emporté. Nous avons perdu. C’est aussi cela que mon ami veut me dire. L’Amérique a gagné. Nous avons nos ghettos, et nos mensonges ne sont jamais aussi bien crus que par ceux-là qui croient voir de la liberté en affublant leurs femmes d’un voile étanche. Le plus drôle est la rencontre des bigots de toutes confessions (SIC) retirant les gamins de l’école en cas de fausse-alerte : ils ont peur que le gouvernement n’encourage leurs filles à devenir lesbiennes. Mauvais genre. Une partie de l’extrême-gauche voient dans les femmes voilées un juste retour du colonisé contre le colonisateur, et, à force de voir des nationalités, a du mal à voir des intentions.... Une partie de l’extrême-gauche soutient l’extrême-droite au nom du principe ultra-libéral américain, du principe pragmatique qui voit des Caucasiens, des Afro-ceci, enfin bref : des étiquettes. Le monde peut-il s’écrouler à cause de paradoxes et de bonnes intentions ?
Sans doute.
Sur le sable devant le grand casino en travaux, des immondices reviennent tous les soirs. Plastique et bois : de ceux qui flottent. J’imagine que ceux qui coulent tapissent le fond des océans. Je sais par ailleurs qu’à d’autres endroits, ce sont des hommes morts qui flottent et les vivants qui coulent. La rouille atteint aussi les bateaux comme elle atteint nos âmes.
Le vieux copain a peur. Il travaille dans une préfecture comme s’il allait au théâtre aux premières loges. Son horizon est restreint. C’est aussi un véritable plaisir que de se contenter du microscope, une sorte de maladie française. Prédire le pire, c’est se faire expert, expert politique. Comme si les experts pouvaient prévoir quoi que ce soit.
Oui, ça finira par péter. L’important est d’être ailleurs pendant les tremblements de terre, d’éviter les avions quand ils s’écrasent, de ne pas boire en partant. Ça finira par péter un jour, mais pas ici, ou pas quand on est là. L’ailleurs est toujours un espoir pour l’avenir. Il faut juste avoir les moyens, encore, de l’imaginer.
Et puis nous emmenons les gamins voir un film parce qu’il pleut pendant les vacances à la plage. Une publicité optimiste nous rend tels qu’en nous-mêmes : bien sûr que la France travaille puisqu’un agriculteur est encore au champ à plus d’heure ! Bien sûr que la France n’est pas raciste puisque des blancs couchent avec des noires et le contraire aussi, bien sûr qu’il faudrait voir les choses autrement.
Mais ça finira par péter : c’est une pub pour la chaîne de télévision du grand bétonneur, le maître de la laideur.
Déception.