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Avant il n’y avait rien

lundi 24 mars 2014, par Grosse Fatigue

J’achète des classiques en livre de poche pour que les deux grands s’élèvent un peu au-dessus de l’emmêlée des adolescents fétichistes. Ça les changera d’avoir à rêver du Comte de Montecristo et pas de la couleur des dernières Nike™ d’un crétin de basketteur américain. Quoique je m’avance un peu car rien n’est vraiment certain. Décrotter un adolescent globalisé du fanatisme de l’american way of ze chinese life n’est pas chose aisée. Surtout en France où les chanteurs ont disparu. Je viens de voir par un hasard malencontreux et connecté trois débiles reprendre Lettre à France - ce qui tombe bien - du grand Polnareff. Ah les cons : tous les tics de l’époque à bredouiller des bruits superflus au lieu de chanter dans le ton et puis surtout l’émotion... Bon passons. Le pianiste a d’ailleurs abrégé l’introduction à cause du formatage, ce qui est, là aussi, un signe d’époque....
Je fais un tour dans le rayon "pour enfants" et je constate encore une fois les ravages du marketing américain... Que de la grosse merde avec des couleurs criardes. Depuis que l’on n’apprend plus l’harmonie des couleurs, on vous vend du criard. Beaucoup d’histoires de vampires. Des couvertures en relief. Je vomis dans un coin. Et là, accroupi, je découvre les classiques en solde. J’en prends une dizaine en cas de conflit avec la Russie, ou de victoire aux municipales du FN qui fait peur à tout le monde entier (Ils ont chopé une mairie ! J’ai la trouille). Ce sont des abrégés mais ce sont quand même. Il faut amener les adolescents vers le but, mais doucement. Ils ont d’autres préoccupations.
Le petit a filé au rayon "petits", ce qui me rassure sur sa logique. Il a trouvé un livre sans intérêt et j’en vois un autre très bien sur l’histoire du monde. La première page lui raconte que la vie semble normale, mais voilà : il y a plus de douze milliards d’années, il n’y avait rien.
- "Rien papa ? Mais c’est dur à imaginer !
- C’est exactement ce que dit le livre. Imaginer du rien, à moins d’être journaliste et de savoir monter les blancs en neige avec le témoignage d’un électeur provençal qui parle de perte d’identité avec son accent tartiné, c’est très difficile !
- La page est noire. Le rien était noir ?
- Non. Il n’y avait pas de couleur, donc pas de non-couleur.
- Et puis il a fait chaud.
- Et puis ça a explosé !
- C’était le big-bang !
- Exactement !
- Mais avant, rien.
- Rien. Tiens, d’ailleurs, avant de n’être, tu n’étais pas là, n’est-ce pas ?
- Ben. Euh, non.
- Et bien là, c’est pareil.
- Ah oui mais moi j’étais déjà dans mes parents !
- Oui, pas faux.
- Alors que rien, c’est rien !
- C’est sans doute que nous sommes encore prisonniers des vieux schémas eschatologiques de l’explication du monde. On ne nous apprend pas à conceptualiser le néant...
- Papa, tu confonds : l’eschatologie, c’est le discours sur la fin des temps ! Un discours mythologique de la rédemption de l’homme. Rien à voir avec la genèse !
- Ah oui zut, je m’en-mêle les pinceaux ! Je voulais parler des discours de la genèse, tout ce fatras anthropomorphique, tu vois... Il me coupe :
- Bien sûr. Nous sommes incapables de dépasser notre propre image. Le simple fait d’imaginer l’existence du monde avant nous, c’est-à-dire sans nous, c’est insensé. A moins, bien sûr, d’imaginer que le passé est lui-même anthropomorphique, c’est-à-dire à la mesure de l’homme, compréhensible par nous seuls !
- Je vois que tu comprends vite la philosophie des choses, c’est bien à cinq ans !
- J’ai hâte de savoir lire, surtout les recettes de cuisine, pour aider maman."

Effectivement, avant, il n’y avait rien. Du tout.