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Du contraste en photo

lundi 12 décembre 2011, par Grosse Fatigue

Il y a des magazines que l’on feuillette au kiosque en attendant son train. Celui-ci en fait partie. Je ne l’achète jamais. Malgré le plus grand concours photo du monde. Quand les amateurs peuvent montrer leurs couleurs trop saturées. Quand le noir et blanc est chatoyant. Quand on a son nom écrit dedans. Ce magazine est une insulte à la photographie bien qu’il en porte partiellement le nom.

Dans celui de ce mois-ci, comme toujours, on saute habilement du coq à l’âne. C’est la mise en page mise en scène. C’est un fait exprès. C’est l’époque. Est-on obligé d’être de son époque ?

J’espère que non.
J’espère toujours un peu trop.

En double page, des Noirs. Des sauvages. De ceux qui habitent encore là-bas. Toujours bons à effrayer le chauvinisme d’un Russe, à renforcer les certitudes d’un Blanc du Tennessee, à faire peur à la dame dans son petit pavillon. Des Noirs dans des décharges gigantesques, bouillant d’incertitudes et de détritus. Sur le couvercle mal fermé et dont on devine l’odeur malgré le papier glacé, ces grands insectes montrent leurs dents (SIC, je sais). Ils déchirent ce qui pourrait être un cœur, dans une sorte de joie d’après la bataille, la joie des vainqueurs, l’immense bestialité sourde dont on sait qu’elle nous réchaufferait aussi si.

Si ?

Si par ailleurs les conditions n’étaient pas, comme le disent si mal ces imbéciles d’économistes, "égales par ailleurs". Nous serions comme eux, et comme n’importe quel miséreux la faim au ventre, à faire les monstres contre deux sous pour qu’un photographe ait son cliché.

Le joli mot. Cliché. Un cliché avec, au loin, les fumerolles méthane de la putréfaction salvatrice. (J’oubliais : seule la pourriture nous rassure dans ces cas-là, n’est-ce pas étonnant ?).

Alors donc voilà. Des Noirs, des détritus, de la sauvagerie. De quoi combler l’homme moderne. Faut-il les montrer ? Oui sans doute. Mais l’indignité devrait rester digne.
Parce qu’à la page d’après, en numérique chatoyant mâtiné de teintes sépia, des femmes sublimes se dénudent en prenant la pause comme de bien entendu. Rien de nouveau dans cette jungle de pacotille, sur ces îles tranquilles où, sans doute, les Noirs sont moins sauvages et occupent principalement les postes de réceptionnistes dans les hôtels cinq étoiles sans fosse sceptique.
Mon train ayant du retard, j’y suis retourné pour voir. J’ai toujours espoir que le contenu change en quelques secondes.
Ils étaient toujours là, comme un fait exprès, pour me faire comprendre que j’étais là aussi, à ma place, aussi loin des filles alanguies et trop chères pour ma calvitie que des sauvages menaçants et crève-la-faim.

J’étais là en attendant que ça vienne.