GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Impuissances > les gens vieillir

les gens vieillir

jeudi 24 avril 2014, par Grosse Fatigue

Les gamins attendaient les jouets dans l’aura boréale du sapin bancal, les guirlandes déguenillées par la chatte, à la manière du chat de Gaston Lagaffe, tout cela en une seule phrase.

Noël : de quoi tuer le temps. J’ai retrouvé par hasard une vidéo de Noël 2006, j’en déduis l’année à la taille des enfants. J’avais oublié le nom des invités, le type de cadeaux, la forme du sapin. C’est que voilà je suis vieux. Après avoir vu l’excellent documentaire "Twenty feet from stardom", je suis tombé amoureux de Claudia Linnear, comme Bowie et Jagger avant moi. Je suis tombé fou d’elle en 74, oubliant que je n’avais plus huit ans et qu’elle était devenue une gentille mama. Oubliant que l’on n’est déjà plus en 2013 et que ce texte pourrait être lu par hasard en 2074 s’il reste un peu d’électricité quelque part, dans l’air peut-être. Claudia Linnear, une Brigitte Bardot noire mais sans clébards, inspirant Lady Greening Soul et Brown Sugar. J’ai trouvé sur Ebay le Playboy dans lequel elle a posé, et j’ai acheté son disque de la même année.

Peut-on se contenter d’une vie où l’on arrive trop tard ?

Ce fut comme un trou dans l’espace-temps.

Les enfants ont pris leurs jouets comme si de rien n’était, comme si c’était normal d’avoir autant de jouets, en boudant même au besoin si ça ne suffisait pas.

Moi, j’aurais bien aimé une machine à remonter le temps, n’est-ce pas là notre plus grand rêve ? Une machine pour aller voir Claudia ou tant d’autres, pour les années soixante-dix, pour me gaver de la nostalgie d’une époque où j’ai passé mon enfance sans me rendre compte de son enthousiasme. Il faut dire que nous étions tous pressés d’en sortir et mes copains prolos ont consommé punk et mes copains bourgeois ont adoré la new-wave. Les très vieux radotaient 14-18, mon père radotait sa guerre, les pères de mes copains l’Algérie. Mais la jeunesse de l’époque avait comme un élan. On voyait Yves Montand dans des films avec Samy Frey. Pourquoi tout cela me paraît-il mieux alors que tout le monde fumait clope sur clope dans la puanteur de mes pulls de gamin ? On ne mettait pas sa ceinture et l’on crevait encastré. Mais les chanteurs avaient des mélodies et je préfère mille fois Michel Lenormand à Miossec : la honte, non ? Je préfère aussi Simone Weil à Ségogolène Royal. Même si Mitterrand n’était qu’une ordure d’extrême-droite, il ne valait pas mieux que Hollande, qui n’est qu’un technocrate sans imagination. Mitterrand aurait voulu être écrivain. Hollande aurait voulu être technocrate. Les musiciens faisaient la musique et Jacques Brel faisait Jacques Brel ou Léo Ferré.

Jacques Brel putain !

Je sais bien que tout ça, c’est du flan. La jeunesse de l’époque était jeune, j’en étais sans l’être, et c’est juste que voilà : je deviens vieux.

Mais on ne m’y prendra pas : Jacques Brel.

Pas Stromae...

Et d’ailleurs, aujourd’hui, en 2074, personne ne le connaît plus non plus.