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Innovons

jeudi 12 décembre 2013, par Grosse Fatigue

A la radio le frère d’un publicitaire célèbre nous dit d’innover. Il nous dit de laisser pourrir les branches mortes, et de devenir ingénieurs. C’est ingénieux. Que ferions-nous s’il n’y avait rien de nouveau ? Par exemple, le frère publicitaire de cet industriel, s’il arrêtait d’écrire que l’amour dure trois ans, serions-nous obligés de relire Victor Hugo ? Serait-ce une régression ? Je me pose souvent la question : comment donc pourrais-je être innovant ? Ce simple texte ne l’est guère, je ressasse, je radote. Il faudrait changer la forme, écraser les chenilles, les papillons, ajouter des forums, un compte Tweeter™ et un autre sur Facebook™, faire quelques concessions, avoir un réseau, s’amalgamer, avoir plus de choses à dire, ne plus parler d’Olga.

Tiens : Olga.

Ma caissière ukrainienne n’est pas d’accord avec l’industriel frère du publicitaire qui se croit écrivain et qui l’est bien plus que je ne pourrais l’être ôh ! La chance qu’il a. Olga n’aime pas l’analyse libérale de la destruction du travail par l’innovation. Elle ne croit pas à la destruction créatrice. Elle voudrait juste pouvoir garder son job pour continuer à voir sa fille aller à l’école publique. Elle ne veut pas qu’on la remplace par un scanner. Hier soir même, je suis allé la voir. Nous n’avons échangé qu’un regard : il y avait foule. L’Europe vieillissante s’agglutine en file indienne du troisième âge et s’en va grelotante sur les parkings nocturnes et sous les néons rouges qui lui promettent une fin de vie moins chère. Nos vieux sortent en bande comme un vieil atavisme Cro-Magnon, pour aller chercher des barquettes de surgelés le mercredi avant le journal de vingt heures, qui leur suggère d’acheter une alarme et d’avoir peur, et pas seulement de l’hiver.

A part ça, en matière de vieillesse, il est difficile d’innover.

Olga sait tout des Luddites et des Canuts. Elle sait bien de quoi cause le frère du publicitaire, elle déteste leur tandem "investisseur/publicitaire". Car ces gens-là l’ignorent depuis Jean-Baptiste Say qu’ils n’ont pas vraiment lu. Ces gens-là madame, se moquent bien du sort des délaissés de l’innovation. Qu’on les compte par millions ne leur fait ni chaud ni froid : C’EST QU’ILS REGARDENT EN PERMANENCE VERS DEMAIN.

Où vont-ils puiser cette capacité optimiste à zieuter l’avenir quand, dans mon cas, je ne vois guère plus loin que Météofrance.com à trois jours ?

J’ai délaissé Olga et fait la queue derrière les quatre scanners et quatre lascars avec des bières en survêtements. Comme deux scanners restaient libres je m’inquiétais :
- "Ça prend que les cartes bleues !
- Ah, ok. Je peux passer ?
- Vous avez une carte bleue ?
- Oui, merci.
- Ben vous avez de la chance.
- Ce n’est qu’une carte bleue.
- Oui mais c’est pas donné à tout le monde."

Quatre scanners ont tué trois Olga mais il en subsiste une pour nous aider, la chose n’est guère fiable. Où sont-elles ? Que font-elles mes trois Olga ? Et mes milliers d’ouvriers de la sidérurgie, ces types prêts à produire français pour que leurs patrons prennent des vacances à St Barth ? Où vont aller les ouvriers de Peugeot™ quand ils auront quitté l’usine chinoise qui produira des voitures allemandes pour le marché américain ?

La gestion des déchets humains, bière à la main en survêtement.

Innovons.

La fille d’Olga fera peut-être Polytechnique™, mais c’est peu probable, et parfaitement inutile. Les dernières inventions des polytechniciens datent de l’après-guerre. Ils se contentent aujourd’hui de donner des conseils. D’administration.

On les verra peut-être un jour, qui sait, survêtement bière à la main.