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La vérité sur les retraites

mardi 3 septembre 2013, par Grosse Fatigue

Travailler pour les autres, c’est déjà usant. Entendre les autres parler de la retraite, c’est plus qu’usant. Il va falloir travailler plus longtemps. Il faut toujours travailler plus longtemps. Il est fascinant d’entendre les autres nous dire qu’il faut travailler plus longtemps. Ceux-là ne savent pas, malgré leur pragmatisme de droite appliqué à gauche, que l’on vire à tours de bras vers les cinquante-cinq ans, et que l’inutilité est une maladie de longue durée, qui survient de plus en plus jeune. D’ici l’année prochaine, je serais inutile, si ce n’est pas déjà le cas.

J’en parle à ma caissière ukrainienne en faisant mon numéro de carte bleue. Elle m’avoue sa trouille. J’ai acheté des melons sans goût, des tomates calibrées, des concombres sous plastique, des pastèques pesant une tonne. Tout est fait à la machine.

Elle me dit :
- "Heureusement qu’on va plus vite avec le code-barre ! Mais demain, tout sera automatique - en roulant les "R", surtout les majuscules - et je serais virée avant 65 ans, ça c’est sûr !"

C’est une caissière intellectuelle. Les Ukrainiennes ont compris qu’elles n’ont guère la chance de travailler après 50 ans. Putes, elles vieillissent, caissières, on automatise. Restées au pays, cancer radioactif. N’étant pas de nationalité française, elles ne peuvent pas croupir jusqu’à tard le soir dans le bureau des formalités urbanistiques d’une ville de province. Car oui : il y a des gens qui croupissent, très tard.

J’en ai la preuve.

La dame des formalités urbanistiques de ma ville de province m’a demandé une photo du toit, afin de m’accorder le droit de le réparer. Devant mon impression en noir & blanc - loin de Cartier Bresson, certes - elle s’esclaffe : il vaudrait mieux une photo couleur de votre toit, en trois exemplaires, ça passerait mieux. La dame des formalités se fout bien que mon toit me pisse sur la tête en pleine nuit et pas que pendant les tempêtes. Elle pourra demander ce genre de choses jusqu’à la retraite. Notez : je trouve cela très bien. Dérisoire, certes, mais très bien. A quoi d’autre pourrait-elle servir, elle qui n’est même pas ukrainienne ?

En sortant de la mairie, il y a les SDF. Le matin, ils n’ont pas atteint le gramme fatidique. Ils discutent même parfois avec des gens normaux, de la pluie et du beau temps. Ils pourraient faire couvreur, c’est la pénurie, mais c’est dur et ça ne paye pas. Et mieux vaut ne pas boire. Je n’ose leur demander leur avis sur l’âge de la retraite.

Je pense à ces gens en réunion, dans des bureaux climatisés. Ces gens des deux bords, à discuter de l’âge de la retraite. Les décideurs. Ont-ils déjà acheté un melon calibré ou tenté de déposer une demande de travaux dans une mairie, puis parlé à des SDF ou à des chômeurs de l’âge de la retraite ? Ségolène Royal, m’entends-tu ? Qui sont-ils vraiment ? Connaissent-ils la vraie vie ? Un Enarque a-t-il déjà pris une photo de son toit avant de tenter de le réparer ? L’idée même de prendre une photo de son toit n’est-elle pas sortie de l’esprit abstrait d’un énarque ? Comment prendre une photo de son toit sans échelle ? Pourquoi ce genre de demande ?

Et puis ce matin, rentrée scolaire. La directrice n’a aucun sens pratique. On dirait qu’elle a fait l’ENA elle aussi. Elle appelle sous le préau un par un tous les élèves de chaque classe. En Allemagne, au bout de cinq minutes - j’imagine - chaque instituteur emmène ses ouailles en classe. Je crois toujours que les Allemands ont le sens du rang, et qu’une liste de noms doit figurer devant eux, afin de simplifier la rentrée. Vers neuf heures trente, c’en est fini. Les petits Français ont intégré leur CE2, les petits Allemands ont déjà fini leur cours de mécanique.

Mais là encore, que dire ? Il faut tuer le temps. Il faut l’étirer, comme cette pâte à modeler que l’on roule pour en faire de longs serpents multicolores. Car il n’y a rien à faire. Voilà le problème.

Quatre millions de chômeurs et l’on repousse l’âge de la retraite. Vive la France.