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Les clodos à la plage

mardi 27 août 2013, par Grosse Fatigue

A Biarritz la grande plage, c’est le paradis. Du moins le paradis dans mes souvenirs d’enfants car, enfant, je n’y suis jamais allé. Depuis je me venge et j’y retourne régulièrement. Il y a ce parfum dix-neuvième siècle et ce bout du monde civilisé, les cicatrices des années soixante-dix mais loin de La Baule qui n’est plus qu’une cicatrice allongée, il y a les vagues, de vraies vagues à l’âme qui nous rappellent que le château de carte peut s’écrouler d’un coup, mais qu’il peut attendre un peu. Et puis les grilles des grandes maisons sont rouillées par en-dessous, signe du temps vainqueur au final, avant la collision des galaxies.

En bas des escaliers près du glacier - mais très loin du Mont-Blanc - trois clodos. Une triplette de clochards à éructer dans la bave de leurs barbes blanches. Trois perdus à jamais au bout du monde, comme au bout de la route, comme s’il n’y avait plus rien après la plage, rien qu’un sens interdit. Trois naufragés hirsutes au milieu des gens normaux, des bimbos de passage, des strings fluo et des rares seins nus. Ils sont terriblement sales, amassant la poussière des routes pour arriver jusqu’ici. Ils viennent de loin et parlent sans l’accent. Ils puent, faut s’approcher. J’aimerais être un géant et les faire petits enfants, les mettre dans l’eau en me bouchant le nez, et les frotter au vrai savon de Marseille avant de leur offrir le gîte et le couvert dans l’un des rares palais pour millionnaire russe qui subsiste encore.

Ils pourraient ensuite se raser, s’habiller de propre, repartir en voiture de location et en costard vers Paris, revenir au bureau à La Défense le lundi matin, dire bonjour à leurs collègues et leur raconter deux ou trois anecdotes sur leurs deux ans de vacances.

C’est qu’ils doivent en avoir des anecdotes ! C’est qu’ils doivent en avoir vu !

Mais c’est qu’ils sont devenus aveugles aussi. Comme pour tous les clodos, la réalité s’est échappée un jour. Elle a disparu lentement ou bien d’un coup, et chacun se parle à lui-même, dans de longs monologues que les deux autres n’écoutent plus. Je les observe à chaque fois. Les clodos sont sourds et aveugles. Ils ne voient plus rien autour d’eux. Seule la parole subsiste et les maintient loin des animaux et des chiens, avec lesquels ils pourraient pourtant se confondre. Ils arrivent à destination comme échoués, puis continuent à parler pour éviter la nuit qui les suit depuis le départ. Je regarde le premier qui parle, qui raconte n’importe quoi, un mélange de souvenirs et de colères passées. Les deux autres regardent au loin, et ce loin se confond avec le mur du casino. Ce sera chacun son tour d’éructer puis de boire avant d’éructer à nouveau. Le ballet des passants n’y changera rien. Ils ne font même pas la manche.

Ils s’en veulent d’être encore là.