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De l’été

mercredi 24 juillet 2013, par Grosse Fatigue

Est-ce parce que le temps s’accélère ? Est-ce parce que le temps est détraqué ? Est-ce à cause des autoroutes et de la vitesse ?

Je n’attends plus rien de l’été.

Je me souviens les escapades en stop vers le sud et l’Ardèche. La rime facile, les rencontres dans la dèche et la spécificité de l’été : le soir, la nuit.

Je n’attends plus rien de l’été si ce n’est qu’il vienne, pour marquer le temps, comme un firmament voluptueux et trop temporaire. Je pense que c’est à cause de mon âge. J’ai beaucoup plus de quarante ans. C’est sans espoir. J’ai beau faire des efforts, chercher les routes bordées de platanes, de tontons flingueurs, de 403 plus ou moins décapotables, j’ai beau essayer de crever de chaud à l’arrière de la voiture de mon père en écoutant Adamo sur RTL, j’ai beau lui dire d’arrêter de fumer dans la bagnole. J’ai beau m’en convaincre, c’est bien l’été mais c’est différent. Il n’y a plus de radio-cassette à gros boutons chromés plastique. Dutronc ne s’appelle plus Jacques. Lanzmann est mort. Pas sûr que Paris s’éveille encore.

L’été fut la fuite. L’heure de la sortie. L’heure de l’herbe avec Sophie ou Delphine. Des femmes aigries aujourd’hui : des femmes d’autres hommes, quant elles ne sont pas seules. L’été nous donnait une perspective infinie. La perspective des années soixante-dix à jamais. Il n’y avait pas de préoccupations. Pas de limite. Pas de banlieue ou alors dans un film avec Higelin. Tout avait l’air léger. Ce qui me reste de l’été. Une brume matinale après des nuits sans sommeil. Des heures d’après l’orage, pieds nus sur le bitume encore chaud. Des parties de ping-pong avec les amis disparus. Le potager de mon père et sa lutte contre les mauvaises herbes, arrachées ici, repoussant là dans la même semaine. La lutte de mon père, la plus dérisoire. L’apéro avec les voisins. Ces gens parlaient beaucoup et toujours sans rien dire. J’attendais l’été où je pourrais partir vraiment, découvrir d’autres rues sans savoir à quoi ressemblaient les rues qui y menaient. Je rêvais de melons et de lavande.

J’ai fait du stop à Moulins, à Roanne, à Lyon près de la prison à la sortie de la bretelle. Il y avait des Belges et des Hollandais. Les taulards dans notre dos nous demandaient d’où l’on venait, où l’on allait. C’était noir et c’était la chimie.

Après Lyon, c’était l’été. Très vite, il suffisait de s’engouffrer.

Je n’ai pas poussé jusqu’à l’Italie quand d’autres partaient en famille en Espagne. Je n’avais pas l’argent. Et puis je n’étais pas assez courageux. J’y suis allé plus tard. Sans même me rendre compte à quel point le sentiment de l’été refluait déjà.
Les distances temporelles ne représentent plus les gouffres des années où l’on grandit encore, où l’on désire devenir quelqu’un.

Les calendriers digitaux qui nous accompagnent ne laissent plus rien au hasard. Il s’agit de programmer nos avenirs et l’été prochain.

Un an n’est rien.

Il ne faudra pas compter sur moi.