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L’oubli annuel

lundi 25 mars 2013, par Grosse Fatigue

Chaque année c’est la même chose. Cette année c’est pire, il fait froid malgré le printemps. Il paraît de toutes façons que le jour de ma naissance, mon père a quitté l’usine sous la neige. Rien ne change. Chaque année c’est la même chose. Sauf qu’il n’y aurait plus d’usine, plus de père non plus.

Il paraît.

La nouveauté depuis quelques années, même si chaque année c’est la même chose, c’est que l’on ne m’oublie plus. De nombreux robots me souhaitent mon anniversaire. TF1, Auchan, Darty et je ne sais qui y vont de leurs meilleurs vœux, gages d’une sincérité sans pareille. Des sites de cougars s’y attellent aussi. J’ai longtemps cru que des félins américains s’intéressaient à moi en découvrant qu’il s’agissait en fait de vagins affamés avec, autour, des corps de femmes vieillissantes. Il y a bien sûr erreur puisque j’ai leur âge, mais allez savoir : ça change tous les ans. Quel étrange marché se dessine là.

Moi aussi j’ai lu Orwell, et plutôt deux fois qu’une. Il est si élégant d’être tant dandy que socialiste à l’ancienne, et de pouvoir se permettre de penser que Mélenchon est, à n’en pas douter, le Napoléon de La ferme des animaux. Sauf que le monde qui vient et qui me la souhaite bonne, n’est pas l’horreur de la dictature stalinienne. Pas plus que le fascisme qui vient (il en met du temps, mais il est bien parti, hélas), l’avenir est déjà là. Le grand nouveau mythe qui nous accompagne dans nos séparations, c’est l’automatisation de l’amour lointain, sous toutes ses formes, et pour raisons mercantiles ; excusez du peu ; puisque l’amour tout court, voire l’amitié, sont des données douteuses et même : volatiles. Les gens en sont si contents, si bienheureux. Leurs amitiés Facebook™ sont si riches, si dynamiques. Les repas entre amis se font si rares, et sporadiques et, pire : locaux. On remet à la prochaine fois.

Alors je ne vais pas me plaindre. Moi aussi je triche et je mens à tout va, à tous vents. Qu’est-ce que ça peut foutre ? (Remarquez le changement de tonalité tout-à-coup, je passe en mineur). Qu’est-ce que ça peut foutre : c’est l’intention qui compte. Bien sûr, les secrétaires de mon boulot m’ont souhaité mon anniversaire. Mais ni mes sœurs ni mon frère n’y ont pensé. C’est que je n’ai aucun compte à régler avec les secrétaires du boulot : je leur pique des bonbons en disant pis que pendre et ça les fait rire parce qu’elles sont d’accord. Et je triche en souhaitant les anniversaires des autres pour peu que j’ai bien pensé à les mettre dans Ical™. C’est tout juste si je n’ai pas programmé un envoi automatique d’email.

Voilà pour la désincarnation, sortir de la viande, sortir de soi, laisser faire les machines et les robots comme dans Terminator™ où tout était prévu. Et quand je pense que face à l’automatisation de notre monde, certains rêvent encore de créer des emplois, j’en ai froid dans le dos.