GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Portraits de crétins > La femme de sa vie

La femme de sa vie

lundi 11 février 2013, par Grosse Fatigue

Je suis assis dans le sens de la marche ça dira quelque chose à quelqu’un le sens de la marche. Il pleut depuis toujours, depuis le temps perdu, mais l’été reviendra et je note cette scène parce qu’elle pourrait servir.
Je suis dans le sens de la marche et l’on file vers Paris, ah, Paris ! A 320 km/h par seconde qui passent dans ma tête. Une très jolie femme années soixante est montée au dernier arrêt et le type en face de moi ne la voit pas à côté de lui elle qui le regarde dans son costume propre et sec, avec ses ustensiles de tambouille commerciale elle doit imaginer qu’il a de l’argent. J’imagine qu’ils ont le même âge et qu’ils se comprendraient s’il pouvait la voir lui qui ne sait même pas ce qu’est un paysage. Les gens qui ont trente-cinq ans sont vraiment très cons dans ce pays.

Je lis un livre qui me tombe des mains en imaginant certains de ceux que je connais dans la même situation mettre à jour leur profil Facebook™ si c’est possible avec la connexion 3, 4, 5G mettez-vous à jour nom de dieu, prenez les dernières fleurs sur le ballast en photo avec vos téléphones, téléphonez avec vos appareils photo et ne venez pas vous plaindre qu’il n’y a plus de papier-chiotte dans le TGV à l’époque actuelle : faut pas en demander trop quand même : l’Etat ne peut pas tout mon toutou.

Le commercial en services ajoutés ne voit pas qu’elle ouvre Closer™, c’est donc vraisemblablement une énorme truie cette femme magnifique, peut-être une bretonne contaminée par le lisier ou une militante d’extrême-droite du Périgord, à notre époque, tout est possible. Elle ne me sourit pas, elle voit bien que je reluque son 95 D me demandant combien ça lui a coûté et si ça fond au soleil tout ça. Je pense bien qu’elle m’a reconnu et qu’elle ne va pas me dire, comme l’autre jour quand je tapais un délire dans le TER et qu’un alcoolo est venu m’offrir un café pour, lui, s’enfiler une bière, non, elle va pas me dire : "Mais, mais vous êtes bien GF, c’est bien vous le bloggeur, non ? ".

Ah non : c’est Lazuly, il a tourné à gauche pour St Malo et élève des Vahinées pubères qu’il vaccine au thon frais, maintenant, laisse-moi tranquille pétasse, ou alors file-moi un Kleenex avant que je ne me torche - pénurie oblige - sur ton joli visage ou avec l’Ipad™ de ton voisin. Car figure-toi que ce type autiste et technophile, rêvant d’argent et d’un ryad à Marrakech, oui, ce type-là, parfum Diesel™ et rêve 4X4, à TRENTE ans près dans une Micheline à la Depardieu/Dewaere années soixante-dix, il aurait pu te conter fleurette et te faire des enfants dans une cuisine avec des nappes à fleurs. Et là, je me revois à la fenêtre ouverte du train de nuit pour Béziers, bien avant que je ne puisse enlever le "i" de cette ville du midi pour découvrir sous les jupes des araignées d’Amérique du Sud, je me revois à la fenêtre du train à discuter avec une nana qui fumait, qui était jolie et lisait Colette, et que c’était grâce à elle que j’aimais les filles et les trains et le midi son odeur sa lumière, les platanes ratatinés sur les nationales en stop d’autres fois par la route. Un autre monde j’espérais. Un autre monde pas venu.

A l’origine je me disais que cette jolie femme contemporaine et bête et gavée de luxe et d’envie de luxe aurait pu devenir son grand amour à lui imbécile serein et matérialiste et puis :

ÇA M’EST SORTI DE LA TÊTE.

Roy se lève de la banquette derrière moi et me dit, doucement, à l’oreille en se penchant souplement : mollo sur les majuscules.
Oui, il ne faut pas trop insister, c’est juste un moment commun avec des gens communs comme il y en a plein en France là, à cette heure-ci. Ne pas compter sur les regards des gens qui s’aimeraient d’un coup d’œil comme dans les films d’autrefois. Aujourd’hui, il y a d’autres moyens, des choses plus plates et, oh oh oh oh, ôh combien plus efficaces. Retourne à ton potager, c’est bientôt mars : tu as du pain sur la planche et la solitude en prime.