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En avant la musique ! La gamme de sol bémol mineure

vendredi 15 février 2013, par Grosse Fatigue

La coiffeuse me dit "Les Maurice, ils ont la tête dure !". Je m’étonne : "Vous y croyez vraiment ?". J’entends bien qu’elle n’accorde pas l’adjectif et qu’elle mange le "e" de "dur". Serait-elle née à Vesoul ?

"Vous y croyez vraiment ?"

Bien sûr qu’elle y croit : elle en connaît plusieurs des Maurice, et ils ont tous la tête dure. De l’induction à la conclusion, la coiffeuse est une fille simple.

Je ne suis plus très sûr de la décision prise il y a un peu plus de quatre ans quand - sa mère et moi - nous avions décidé un soir de beuverie, de l’appeler Maurice. On aurait aussi pu l’appeler Patrick Bruel, à l’africaine, mais Maurice, c’était le nom du grand-père d’un grand-père.

Mon fils s’appelle Maurice. Il aura la tête dure.

Toujours est-il... Mon autre fils me dit que je suis vraiment dépassé. La gamme de sol bémol mineure, qu’est-ce qu’on en a à foutre qu’elle comporte tant de bémols et même deux doubles-bémols ? Qu’est-ce qu’on s’en fout papa, à l’heure où les victoires de la musique sacrent des DJs nantais et une fille de stars chantant en anglais. Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? A l’heure où la musique n’est pas enseignée dans les écoles françaises mais que l’on va officialiser la théorie du genre, du genre n’importe quoi mais ça coûte rien, papa, tu vas quand même pas nous embêter avec la gamme de sol bémol mineur : on s’en moque. On s’en moque que tu veuilles la décroissance alors que t’en es à ton dix-septième Mac™, que t’as finalement un Iphone™ et que tes vélos sont en carbone made in China : tu n’es pas plus crédible que la gamme de sol bémol mineure, sachant que le "la" n’est pas ce que l’on croit, et que c’est trop compliqué pour nous tous. La vie doit être simple : un synthé, une console, une table de mixage et des putes tatouées bourrées à 16 ans tous les jeudi soir, jusqu’à vingt-cinq ans. On n’en demande pas plus papa : notre Amérique à moi, point à la ligne.

Je reste estomaqué en avançant sous la pluie le plus jeune à la main et le plus grand arguant de ces étranges arguments. Je reste bouche bée et la pluie drue cogne sur mon crâne chauve de père qui s’y croit encore.

- Mais il y a des règles, le solfège, c’est complexe, et une fois que tu l’as en poche, c’est tout bénef ! Tu m’entends Marcel ?

Marcel a la tête dure aussi. Je suis en train de rater l’éducation de mes fils à cause de ma passion pour les années trente d’avant la crise, ou de ma volonté sans lendemain d’avoir des enfants moins cons que moi, ou je ne sais quoi.

Marcel me répond du tac-au-tac :

- Mais qu’est-ce que tu racontes ! Fini le temps où il fallait maîtriser le solfège pour être musicien ! Regarde donc hier soir : à ton concert classique où te traîne la mère de tes enfants, il n’y a que des vieux, des grabataires ! Du quatrième âge ! En France, la musique classique, c’est fragile et ça fait chier !

- Reste poli ! lui dis-je.

- Mais c’est vrai ! Même l’Etat français ne veut plus la subventionner ! (Véridique) Ça ne sert qu’à chasser les clodos des entrées d’immeubles en Angleterre !

Ta gamme de sol bémol mineure, c’est comme s’il était nécessaire de maîtriser la grammaire pour écrire des textes ! Regarde les tiens ! Où qu’elle est ta grammaire ?

- Si je ne m’en souviens plus, je l’ai apprise ! Lui dis-je en passant devant l’une des églises les plus vides du monde.

- Si l’on oublie les choses importantes, c’est qu’on n’est pas obligé de les apprendre : ça va plus vite !

Aller plus vite, aller plus vite : voilà ta génération mon Marcel™. Vous ne pensez qu’à vous bâfrer à fond la caisse. Le reste ne vous intéresse pas du tout.

Le petit Maurice quatre ans lâche ma main pour celle de son grand-frère. Il comprend tout me dit l’autre. Il nous dit : "Papa, laisse tomber, c’est comme quand tu défends la lecture dans les toilettes, c’est pas fait pour ça !"

A quatre ans, remettre en cause l’une des avancées majeures de l’humanité : la quiétude de lire dans les toilettes. Je me sens si seul face aux vitrines vides du centre-ville. Bien sûr : les prolos sont parqués dans les zones commerciales, à acheter des lasagnes aux croquettes pour chiens.

- Et puis papa, la gamme de sol bémol mineur, personne ne l’a utilisée ! Les DJs mettent tout en Do majeur, c’est plus simple : ils n’y connaissent rien ! Et ces gars-là se tapent un max de gonzesses tatouées et toi rien, à part Li Tong, ta pute virtuelle de Chine...

Je trouve qu’il exagère, à quatre ans.

- Papa, les chanteurs qui chantent faux : y’a des logiciels qui corrigent en temps réel leurs erreurs ! Pourquoi tu crois qu’autant de bombasses™ analphabètes (SIC) peuvent chanter à tue-tête sur ENERGYRADIONUMBERWANE ?

Je me vois dans une flaque d’eau, les Boches™ au cul dans une Traction avant™, le Lugger™ dans la main. Dois-je en finir ? Ou réviser ma grammaire, moi qui ai raté l’éducation de mes enfants ?

C’est fini papa, qu’il me dit : fini. Y’a même bientôt un nouvel album d’Indochine™ qui va sortir !

Envie soudaine d’un steack de cheval. Dans un petit restaurant, avec Blier au premier plan.