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Choisis ton camp, crétin

vendredi 30 novembre 2012, par Grosse Fatigue

En 1987, je l’attendais à la sortie des bureaux dans le centre-ville de Boston, USA. J’étais jeune, j’avais les cheveux longs, j’avais les cheveux, j’avais les cheveux en fait : j’en avais. C’était merveilleux d’être si loin de tout et surtout d’ici. Bien sûr j’ai vomi après la première glace à la vraie pistache. Puis j’ai vomi après qu’ils m’eurent parlé de dieu, puis qu’ils me chassèrent pour certains de leurs maisons. I was evil. Etre Français vous offre l’énorme bénéfice d’être tout à la fois universel, athée, prétentieux, suffisant, cultivé, un peu con, idéaliste, utopiste, lointain, libidineux, dragueur et plein d’appétit, etc. J’ai tellement vomi de tout sauf de quelques-unes que j’ai maigri tout autant que si j’avais visité les Indes, dont je garde le pluriel pour ne rien nier de ces subtilités, subtilités que j’ignore encore, et pour longtemps.
Elle travaillait là pendant ses études, comme la plupart des étudiants américains qui doivent payer pour tout, chamboulant ainsi l’ordre du temps, des dimanches et des lundis, les rendant parfaitement indisponibles à la réflexion, à moins d’être clodos ou issus des grandes familles de la côte est je suppose. Je ne la voyais jamais. Je devais même me taper les corvées obligatoires à l’auberge de jeunesse, sorte de camp stalinien en pleine ville. La ville, par ailleurs, regorgeait de richesses, et moi, fauché au bout d’une semaine, je regardais les vitrines et les écoles de musique, les universités prestigieuses et les types ramant avirons bien peignés. Et je m’endormais dans les librairies en rêvant. C’était l’automne, et c’était beau, orange contrasté.

A midi trente, et c’est là que je voulais en venir comme disent mes copains cyclistes, à midi trente, ils sortaient des bureaux. Mon œil affuté de jeune sociologue des mes deux (à l’époque, on m’avait inculqué Bourdieu, je n’avais lu que lui, comme un pasteur et sa bible, dérisoire), mon œil pourtant voyait bien ce qu’était la société américaine. D’un côté des groupes d’hommes, de l’autre des groupes de femmes, au milieu parfois des couples. L’apartheid y était si naturel, si profond et si désinvolte si l’on peut dire. Comprenez-donc : un si grand pays ne laissait guère de place aux individus libres et égaux, et encore moins à la rêverie.

Je vomissais mon café dans l’attente.

Dans les toilettes, l’individu était mis à rude épreuve : pas d’intimité. Un flic pouvait sortir son flingue sous la porte ne touchant pas le sol et vous trouer les testicules à jamais. Un basketteur pouvait vous demander du papier Q par-dessus la cloison de séparation des chiottes, et vérifier qu’il en avait une plus grosse (ce qui ne fût jamais le cas : cocorico). J’attendais le grand amour physique de ma vie d’alors. Rien de très sentimental, juste des capacités étonnantes. Le reste à l’avenant. Mais de quoi prodiguer un terrain d’études indispensable. Je vomissais en découvrant la moquette du sous-sol chez sa mère. Puis en découvrant sa mère. Puis la tarte aux Chamallows. J’espérais que mon ADN donnerait naissance à quelque Golem vomitif. Il n’en fût rien.

A chaque fois, on me demandait mon appartenance.

Mon appartenance.

Etais-je gay, astigmate, noir, blanc, juif, italien, communiste, religieux, mormon, hétérosexuel, et pire : CAUCASIEN.

Je m’amusais à dire aux noirs que je n’étais pas blanc mais français, aux français que je me sentais assez européen, aux gens de droite que j’étais anarchiste et aux anarchistes, nombreux à Boston, que j’étais méfiant. Il fallait faire partie d’une fraternité, d’une sororité, d’un groupe de lesbiennes politiquement correct ou de jeunes collégiennes vierges et fières de l’être avant le délabrement final, puis, plus tard, en Californie, j’allais devoir m’excuser dans un groupe d’alcooliques anonymes. Ce que c’était chiant.

A l’époque, j’étais sûr que rien de tout cela ne nous arriverait. J’imaginais que la France des années quatre-vingt dix avalerait dans son universel imaginaire la bouillabaisse et le couscous, les rythmes africains, et notre créolisation m’allait bien, bien mieux que toutes les appartenances à la con, les héritages de grand-père ou l’éloge du terroir, de la région, du minuscule, des racines à la con, de ma catégorie sexuelle ou du mariage, de la famille.
Respecter les minorités était le leitmotiv le plus en vue, le plus radical, le plus moderne.

Tout respecter. Parce que ça se vend.

Ce vent d’ouest.

Ce vent.