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Le ravissement de la libraire

dimanche 7 octobre 2012, par Grosse Fatigue

Il y avait comme un contraste appuyé entre le sourire de la jolie rousse XIXème siècle à la caisse de la librairie. Elle semblait réellement heureuse que je lui achète le dernier Salman Rushdie, homme qui souffre pour moi. Elle me remercia très sincèrement et, sous sa peau diaphane, je vis battre son cœur, à coup sûr solitaire pour moi qui voulait la croire, encore un peu, célibataire. J’aurais bien aimé lui parler, lui dire n’importe quoi sur les livres photo du fond, ou sur les essais de l’autre pièce. Mais je suis parti un peu plus léger, un peu moins seul. C’est qu’elle et moi, sans insister, faisons partie de la seule communauté qui vaille : les dinosaures. Dans les librairies indépendantes, il y a des dinosaures. Dans les autres, subsistent des obligés des programmes scolaires et des commandes publiques. Pour quelqu’un qui, comme moi, lit tout à l’envers - je finirais par Zola - voir cette femme qui survit pour me sourire, c’était un ravissement.

Je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression que ça n’a pas toujours été comme ça. Je viens de me promettre de tout commander là-bas, et d’éviter la servitude facile de l’écran et des robots qui m’épient. Mais j’oublie souvent mes promesses, en témoigne le chocolat.

Lisait-on plus autrefois ? Ou suis-je par hasard confronté à des dizaines de personnes ne lisant absolument jamais ? Jamais rien, pas même le Chasseur Français ? Le désert. Chez les gens inconnus, je vérifie qu’en souterrain, comme une rivière, traînent quelques livres. Et même si je me révulse à la vision de Freud dans la collection du Reader’s Digest™, c’est quand même mieux que rien. Pour mes étudiants, c’est foutu. Il y a quinze ans, on pouvait leur demander de lire une centaine de pages en une semaine. Aujourd’hui, c’est soixante-dix de trop. Et puis c’est dur monsieur, c’est dur à lire votre truc, on n’y comprend rien, y’a des références.

Ah voilà : les références. Les livres se nourrissant les uns des autres et de la vie en général, pour les comprendre, il faut aller au gueuleton avec une faim sans limite.

Je me demande ce que lit ma libraire, là : maintenant.