GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Mineurs > A vélo zen

A vélo zen

lundi 11 avril 2016, par Grosse Fatigue

J’ai juste envie de partir en vélo la tête vide. Je pars généralement la tête pleine, ce qui est gênant dans les côtes, et ce sont pourtant les côtes que je préfère. Partir la tête vide, traverser la France, l’Espagne, voir le Maroc, traverser la Mauritanie, le Sénégal, finir au Brésil et prendre peut-être un billet retour peut-être. Peut-être.

J’ai atteint le niveau du zen bien avant ma mort je crois. Je n’ai plus envie de rien. Juste regarder les bourgeons dans ce moment magique de printemps où leur recroquevillement a quelque chose de féminin. Les prendre en photo et apprendre le nom des arbres, les qualités du bois. Dimanche dernier, j’ai encore franchi la Ligne de Démarcation. Un panneau pédagogique nous précise que des centaines de personnes ont tenté leur chance pour aller plus loin et vivre libre, deux ans de plus. Sur la petite route dans ce vallon encaissé, pas une voiture, pas un gendarme, pas un Boche. J’ai regardé les pissenlits comme autant d’âmes envolées autrefois, et remercié le département pour la politique du souvenir. Dans les bois, les fantômes des gens morts dans les films en noir et blanc, des grands-mères de la Résistance qui étaient de jolies jeunes filles sur des vélos avec des pneus pleins. De filles en aiguilles, la vie de mes parents, la guerre, les inventions de ma mère, et le bonheur d’aujourd’hui et cette liberté totale.

J’ai atteint le niveau du zen bien avant de penser que j’allais l’atteindre un jour. Ça n’était pas mon but.

Je n’ai plus envie de rien.

Il faut que j’apprenne le nom des fleurs et des arbres et des bois et peut-être encore des gens qui sont morts là, si jamais quelqu’un quelque part tenait une liste. Il reste la barrière ou bien est-ce une réplique. Elle est peinturlurée rouge et blanc, j’entends Kommandantur malgré le printemps magnifique et pas une Juva 4, pas une Traction Avant, pas un Panzer qui remonterait vers le front normand.

J’ai envie d’éloignement et de solitude. Pour la solitude, je suis comblé. Même entouré, j’ai l’impression d’être seul. Tout cela ne me gêne plus, je suis détaché : je n’ai plus envie de rien.

J’espère juste que l’on est nombreux.