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La conduite accompagnée

vendredi 29 avril 2016, par Grosse Fatigue

Je lisais Charlie aux toilettes quand le grand en ce vendredi soir me demande s’il peut éteindre le poisson. Avec n’importe quel autre enfant, ce serait chose facile. Avec un enfant né sur la lune, c’est toujours plus compliqué.

Je n’ai pas fini l’article de Charlie, j’ai juste pensé qu’il faudrait me faire soigner un jour. Je lui ai dit d’éteindre le poisson. Il y a cinq minutes.

J’arrive dans la cuisine il discute avec les deux petits et le feu couve sous le poisson. Je le regarde. Comme d’habitude et comme toujours. Je lui fais remarquer que le poisson n’est pas éteint, comme s’il s’était agi de le ré-animer. Il me regarde et me dit qu’il a oublié. A la fin du repas, il va me demander si le plastique normal se recycle et jettera le carton dans la poubelle du tout-venant. Demain, je retrouverais des opercules en aluminium dans la poubelle de tri. N’importe quoi. Je lui dis à chaque fois, mais sa mémoire fait le tri elle-même selon des critères constants bien qu’aléatoires : je ne comprends rien à mon fils le premier du nom, le grand, le rêveur. Mais souvent, j’avoue ma peur.

Car le voilà insistant pour apprendre à conduire en conduite accompagnée. La dernière fois que j’ai fait du vélo avec lui, j’ai cru le voir mourir trois fois et je remercie le hasard d’avoir fait tout son possible pour qu’il soit encore là à ne pas éteindre le poisson. Je suis aussi ravi d’avoir rendu la tondeuse électrique, au moins pour cette semaine. Il serait sans doute capable de la démarrer à l’envers, et d’en faire un drone farfelu, à découper les jambes.

J’ai beau lui dire que l’on se moque à quinze ans d’apprendre à conduire. C’est qu’il paraîtrait que des amis de sa mère l’ont convaincue elle (et lui donc), de la nécessité de la bagnole, mieux : de la priorité. Apprendre à conduire, ça vous donne une chance en plus de trouver un boulot quand on est un petit-bourgeois, et, bien que j’essaye de lui dire autre chose, on ne lutte pas avec des principes quand Las Vegas brille au loin. Je lui dis qu’il ferait mieux de réviser les langues, la musique, faire du sport, voire même en faire avec moi, à condition de mettre un casque. Non. Le superflu l’emporte sur l’intemporel. Il n’y a plus de nécessaire. Il a peut-être compris que, de l’autre côté, on lui paiera ce que l’on doit payer, quitte à oublier le mérite en principe de base.

Oui mais Machin et Bidule ont dit à maman que c’était bien.

Oui, mais ces deux-là auraient sans doute mieux fait de convaincre leurs gamins de lire un livre un jour au moins une fois dans la vie.

On va pas se battre. Je croyais laisser ces combats aux enfants des autres. Mais c’est perdu.

J’ai juste précisé que je tenais à sa vie, et que la bagnole qui me restait me coûtait largement si cher en réparation que je n’avais pas envie qu’en plus, il bousille le portail ou écrase son frère, en confondant la marche et la marche arrière, par mégarde, par décontraction.

J’imagine que demain, il y aura du verre dans la poubelle carton. J’espère juste que le hasard ne le pointera pas du doigt, un jour à un croisement, si d’aventure il mettait le clignotant à gauche pour tourner à droite. Car je sais d’avance ces choses.