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Le bilan carbone du mercredi, par exemple

mercredi 23 mars 2016, par Grosse Fatigue

Le bilan carbone du mercredi n’est pas reluisant. Je ne compte plus les allers-retours consacrés à mes enfants privilégiés qui font de la musique et du sport, dans des lieux différents et à d’autres horaires. Le mercredi est une longue course-poursuite qui doit permettre aux enfants privilégiés de ne pas traîner en bas des barres d’immeubles puisque l’on n’y habite pas.

C’est l’avant-dernier aller-retour, le grand lunaire adolescent sort de sa poche une photocopie recto-verso pliée dont la plupart des phrases sont surlignées en jaune fluo. Il me dit que quelqu’un lui a donnée, qu’il l’a lui-même donnée à un copain de sa classe qui, après analyse, lui a dit que c’était un tract d’extrême-gauche.

J’ai vu quelques phrases soulignées, les slogans d’Arlette Laguiller, le sigle de LO, et tout un tas de choses sans doute vraies sur le capitalisme. Je lui ai dit oui, c’est très beau. Mais si ces gens-là étaient au pouvoir, on serait soit mort soit en prison.

Mon grand gamin lunaire - qui pensait sans doute déjà à autre chose tant sa pensée à lui coule comme un robinet qui fuit - m’a quand même répondu, entre mes inquiétudes, "Mais je croyais que t’étais d’extrême-gauche papa ?"

Oui, pas vraiment.

Je viens de lire le dernier Onfray qu’une collègue m’a prêté, je l’ai lu juste pour lui dire demain matin à la cafétéria à quel point Onfray est devenu un penseur inutile. A force de vouloir être un spécialiste de tout sur les conseils de Boris Vian (j’ai suivi aussi le conseil, naïf), on n’est plus qu’un spécialiste de rien, et il ne faut pas se plaindre. Onfray enfonce les portes ouvertes, on n’aurait pas dû intervenir au Mali, ni nulle part ailleurs, et attendre tranquillement que, je ne sais pas, l’islamisme total nous arrive par l’Espagne peut-être ? On aurait dû laisser la barbarie partout, on n’est plus universaliste. Si, c’est un peu ce que dit Onfray. Mais ça n’est pas le problème. Onfray dit aussi des choses vraies, la traîtrise d’un Mitterrand, la gauche de droite qui nous gouverne, et sans doute son appartenance à la gauche d’autrefois. Je raconte à mon gamin que je fais aussi partie de la gauche d’autrefois, qui voulait que l’on aide les enfants de prolos à l’école, que l’on taxe les riches, que l’on fasse taire les Gattaz, (voir ici comme il est profond) et qui ne voyait pas comme une fin en soi le fait de "produire de la richesse".

Je me demande si être de gauche ne serait plus, simplement aujourd’hui, une capacité à ralentir le temps. Ou les dépenses.

Mais l’adolescent à ma droite regarde ailleurs. Il pense sans doute déjà au basket, ou à son cours de piano, ou à une fille de son âge, une inaccessible. Je lui dis tu sais, j’ai cinquante ans après-demain, mais j’ai ton âge depuis toujours, je sais bien à quoi tu penses. Il tourne son visage vers moi, me regarde de cette manière traversière comme aux Marquises, en penchant la tête, et sourit benoîtement. Je n’insiste pas sur le fait que Trotski était un Staline raté. Plus personne n’en a rien à foutre à part Onfray, peut-être.

Dans l’après-midi, j’étais avec les deux petits à attendre la fin du cours de la grande. La couverture de Books™ a bien fait rigoler le petit. Il me dit : "C’est Adolf ?". J’ai aimé l’usage du prénom. Peut-être à cause du film du même nom. Peut-être aussi parce que le charisme des années trente n’est plus qu’une tâche indélébile sur la nappe de la cuisine. Il insiste : "Mais papa, c’est quoi cette moustache ? Il avait vraiment l’air ridicule ! Tu devrais te laisser une moustache comme ça papa ! Ça nous ferait bien rigoler !"

Je lui explique que ça n’est plus à la mode. C’est d’ailleurs l’un des trucs les plus sérieux que j’explique à mes étudiants quand on parle des types d’autorités chez Max Weber. Dans le type 3, le charisme, on oublie toujours le moment. Et le moment de la petite moustache est passé. Aujourd’hui, c’est la barbe et l’exotisme d’un Coran qui dit tout et son contraire, mais je n’ose parler de ce qu’en dit Onfray à mes enfants. Car Onfray nous dit qu’il y a du bon Coran et du mauvais, et qu’il faudrait nationaliser les Imams pour qu’ils suivent le bon Coran, pas l’alternatif. Pour un philosophe de l’athéisme, je m’attendais à mieux, un peu d’audace, de provoc’, d’utopie : en finir avec la religion. Ça ne mange pas de pain -même si l’autre les multipliait - mais ça fait du bien.

Il est 19:48 et des journalistes racontent n’importe quoi à la radio. Bien sûr que l’Arabie Saoudite et le Qatar sont en train de nous assassiner. Les voilà les coupables. Et après ?

Il faut que je pense à faire le plein. Le gasoil n’est pas très cher à ce qu’ils disent. Je vais passer à la pompe vendredi. Il faut que je note cela quelque part.

Parfois, j’oublie.