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Vers le silence

lundi 14 mars 2016, par Grosse Fatigue

Je découvre les vertus du silence. Devant la gare, la file des taxis. Comment peut-on être chauffeur de taxi ? Une question parmi d’autres. Et pourquoi celui-ci précisément, qui joue sur son téléphone portable, à l’arrêt, en attente, pourquoi celui-ci laisse-t-il le moteur allumé, alors que du printemps nous vient un air trop tiède, que sa fenêtre est ouverte, et qu’aucun client ne se presse à l’horizon ? Pourquoi les gens ne comprennent-ils rien à rien ?

Je passe à-côté. Je me tais.

Je connais maintenant les vertus du silence. Parler ne sert strictement à rien. Pas plus que lire, ou aimer la musique ou les animaux. Il en va de nos égoïsmes comme de tant de choses. Et j’imagine qu’un quidam quelconque pourrait bien venir me voir maintenant, dans le train régional, pour me dire de me taire, d’éteindre mon ordinateur, ou bien de parler aux gens ou d’aider des pauvres, d’agir en quelque sorte, plutôt que d’être là à bavasser encore ces quelques mots. Le monde tel qu’il va ne nous mène nulle part, et j’ai encore pu admirer les ravages pavillonnaires en campagne ce dimanche, j’ai foulé du pied des chenilles processionnaires comme si c’était mon affaire, j’ai vu des centrales nucléaires de près, et un reportage sur le Japon de loin, j’ai parlé à des inconnus, j’ai encore fait des efforts. J’ai écouté un pêcheur qui m’a raconté ses combats d’autrefois, contre des brochets imaginaires ou des silures gigantesques, j’ai écouté sa paranoïa sur ceux qui mettent des truites arc-en-ciel et des carnassiers là où il ne faudrait pas, ceux qui polluent (la rivière était tapissée de filaments verts), et tout un bric-à-brac incongru qui le rassurait.

Ce lundi matin, dans une énième réunion de travail parfaitement inutile, j’ai pu lire de mes yeux les emails de mes étudiants incapables de poser une hypothèse, pendant que d’autres personnes réelles se demandaient si l’on atteignait bien le ratio normal d’e-learning ou de bêta-bloquants, je ne me souviens plus. On a même argumenté sur la nécessité de faire une double-saisie des notes des profs, des fois que le contrôle du contrôle ne soit pas suffisamment sous contrôle. Pendant ce temps-là, je comptais les fautes d’orthographe à bac + 5 et je souriais en douce à mon inutilité. Un autre ferait mieux que moi. Et en silence, sans doute.

Finalement, je comprends mieux la servitude. Il faut une sacrée dose pour être libre, mais je ne sais pas de quoi.

J’ai envie de me faire tatouer, sous le poignet gauche, "Tais-toi".

Même ici, ces quelques notes me semblent pathétiques. Pour peu que je lise un bon livre, que je découvre une vraie artiste, j’ai juste envie d’aller à la pêche et de repenser à mon père, qui me disait que je parlais trop, que ça faisait fuir le poisson, que je ferais mieux de me taire, et que la vie m’apprendrait.