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Un matin sur le quai
mercredi 27 janvier 2016, par
Il faisait froid et humide et surtout il faisait encore nuit. J’ai cru le voir au-dessus des voies, venant du côté centre-ville alors que j’arrivais de l’autre côté. Je n’ai vu qu’une ombre, et comme c’est un ami africain, je n’ai pas été très sûr de moi. Il s’agissait peut-être d’un autre.
Derrière lui une femme s’éloignait. Je n’ai vu je crois que les mains enlacées s’éloigner l’une de l’autre. Je n’ai rien vu avant, j’étais encore dans l’escalier. Mais j’ai vu je crois les mains s’éloigner, et, à défaut des regards, j’ai vu deux têtes tournées.
Puis je suis descendu sur le quai numéro huit, en face du quai numéro six. C’était bien lui. Je me suis dit que je restais physionomiste, et j’ai ressenti une certaine satisfaction, malgré les conditions hasardeuses de la lumière hivernale. Je l’ai alors appelé. Mon train était à quai, un peu plus au sud, et nous nous distinguions parfaitement, aux pieds de nos escaliers respectifs. J’avais mon bonnet gris jusqu’aux oreilles, mais j’ai bien vu qu’il m’avait reconnu, et que ma présence le gênait. Nous ne nous étions pas revus depuis ma séparation, et mon ex-femme les côtoient beaucoup, enfin je crois, lui et sa femme. Cette dernière m’a d’ailleurs appelé un lundi soir pour s’excuser d’avoir témoigné pour le camp adverse, ne sachant pas que cela servirait à me priver de mes enfants. Parfois, il faut poser des questions. Ce couple d’amis a aussi quatre enfants.
Il ne savait que dire alors je lui ai demandé comment ça allait, les enfants, elle, et s’il allait à Paris. Il était vraiment de plus en plus gêné. Je n’étais pas très réveillé.
Il me restait trente secondes avant le départ de mon train. Je me suis éloigné dans la rumeur des quais, un autre train est passé, un train de marchandises. Je lui ai souhaité une bonne journée, et surtout à bientôt, c’est souvent nécessaire.
A vrai dire, je dormais. Aucun élément de la situation vécue pendant ces quelques minutes n’avait un quelconque intérêt pour moi. J’ai le sommeil léger, je me réveille systématiquement à cinq heures quarante tous les matins, et je suis pressé de me rendormir assis dans un wagon pas confortable et trop lumineux, et bruyant.
C’est ainsi.
En fin d’après-midi du même jour, ce même ami m’a envoyé un premier texto incompréhensible. Puis d’autres. Me remerciant de n’avoir rien dit. Je n’ai pas compris. Je lui ai répondu que je ne comprenais pas la signification de ce texto. Il a prétexté une erreur de manipulation. Mais les erreurs de manipulation, ça n’existe pas, quand on envoie non pas un, mais quatre SMS à la suite.
Je n’ai pas fait plus attention. Je venais de recevoir le jugement de la juge. Une autre paire de manches.
Et puis tout vient de me revenir. Et j’ai alors compris.
Il va peut-être falloir que, moi aussi, je témoigne un jour, pour une autre, allez savoir... Dans les farces, il y a toujours des dindons.
Je tiens à témoigner, sur l’honneur, que madame B... est une très bonne mère, très sérieuse et dévouée, qui aime ses enfants etc.
Etc.