GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Sérieux s’abstenir > A propos des rêves

A propos des rêves

mardi 15 décembre 2015, par Grosse Fatigue

Cette nuit, avant de passer devant la juge, je suis parti. A la Victor Hugo, par la campagne, par la montagne, loin : rêver.

J’en ai parlé à l’ex-femme de ma vie l’autre soir en voiture et je sais que le nouvel homme de sa vie actuelle est incapable de lui dire d’aussi jolies choses : je lui ai demandé de ne plus venir dans mes rêves. Je lui ai dit arrête, tu as déjà quitté ma vie, alors ne viens pas non plus dans mes rêves.

J’assume cette double-vie : les rêves sont l’autre bord.

Et peut-être certains me parleront d’une pathologie de l’enfance. Et bien tant pis pour eux.

Je lui ai demandé de ne plus venir dans mes rêves et c’est ainsi que j’ai vu émerger la femme que j’aimais du cadavre de la femme terrifiante. Elle m’a dit : je ne te demande pas de ne plus venir dans mes rêves. Et pourtant, je ne vais plus dans ses rêves. A moins d’y aller pendant mes propres rêves et de rêver ainsi, quand elle dort près du corps d’un porc, de rêver parallèlement une vie autre, la vie d’après la mort, celle sans la consistance physique de la réalité. Je ne savais pas qu’elle rêvait encore de moi, il reste donc une trace. Et la femme que je verrais tout à l’heure au tribunal sera sans doute trop réveillée par la quarantaine de témoignages en ma faveur pour penser encore aux rêves. Mais celle-là, c’est l’autre.

Et cette nuit, il m’est enfin arrivé cette chose qui ne venait plus. Je pense qu’elle n’est pas venue depuis au moins trente ans. C’est comme une vieille inconnue qui nous plaisait dans la rue mais que l’on n’aurait jamais abordée et qui vient enfin. Cette nuit : j’ai maîtrisé mon rêve. Elle était là, et c’était bien normal, puisque demain, il y a deux heures maintenant, elle était là aussi, au tribunal. Elle était dans mon rêve. C’est toujours le même rêve. Je la retiens mais elle tombe. Elle part. D’autres viennent. Il n’y a jamais d’enfants. Et puis il s’est passé cette chose dans mon rêve, la chose dont on rêve tous quand on ne dort pas : maîtriser son rêve. J’ai compris endormi que je rêvais. Je me suis alors dit sciemment à quel point tout ce que je voyais était hyper réaliste. C’est chez Jünger que j’ai déjà lu cela. Tous les jours, le vieux fou prenait ses rêves en note. Je n’ai aucun courage sauf là, ce matin. Alors que l’ex-femme de ma vie m’a confronté à l’impuissance totale de l’absence d’amour, voilà que mon rêve s’entrouvre à ma volonté et que je m’en rends compte. J’ai d’abord admiré la richesse des détails que produisaient mes neurones alanguis. J’y ai vu un panorama immense, des rues, des pavés, des gens à la terrasse des cafés, des escaliers, des gares, des marches, je voyais tout, et c’était formidable. Et j’ai voulu voler, comme un enfant, me mettre à courir et prendre mes jambes à mon cou. Enfant, ça marchait toujours.

Dans ma tête, il y a un autre monde.

Et c’est alors que je me suis réveillé. Une amie m’appelait, il était huit heures. J’avais dix-sept messages d’encouragements sur mon téléphone portable en silencieux, une vingtaine d’emails de ma vie réelle, et presque autant de ma vie d’ici, face à l’écran. Je me suis dit qu’en additionnant deux nombres premiers on obtenait un nombre pair, et qu’il n’y avait plus de café, que la chatte grise avait l’air triste et qu’il fallait y aller.