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My favorite things

dimanche 13 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Nous avons joué My favorite things samedi matin, avec mes trois copains du quartet hasardeux. Je fais de mon mieux. Je me sens plus à l’aise sur cette mesure bancale et ternaire, à rêver d’Afrique et de saxophoniste, et surtout de John Coltrane. C’est une chanson triste. Elle ne paye pas de mine mais elle est triste, tout comme Brasil peut l’être. J’aime ces chansons qui peuvent être gaies et se maquillent, car elles sont tristes et nous font du bien. Summertime est de cet acabit aussi. Il y a du génie dans les chansons tristes. Les multiples versions n’empêchent pas la tristesse de ressortir. J’entends mon fils derrière la porte jouer les premières mesures de Life on Mars. Bowie a aussi été un génie.

My favorite things.

Moi aussi, j’aime des objets. Des cymbales turques et de vieux appareils photo, des caisses-claires et des batteries des années soixante, des meubles art-déco, les formes d’un piano ouvert, les hanches des femmes nues quand elles sont allongées sur le côté, les champignons l’automne, une photo en noir & blanc dans l’eau du laboratoire, un souvenir de Biarritz pendant une tempête, une vieille pomme et une carotte de travers, des objets détournés et du bois flotté qui ressemblerait à un voilier, la Bretagne que je ne connais pas mais dont j’imagine les sommets de six-mille mètres il y a des millions d’années, le Massif Central en carte ancienne dans les écoles primaires, avec, en tache rouge, les anciens volcans, si peu anciens par rapport au granit lui-même, dont je me demande pourquoi la lave a percé le socle si récemment, un socle si vieux et si dur. Les photos anciennes et les yeux des enfants à pleine ouverture, quand la profondeur de champ est minime. Les berges de la Seine et la Loire toute entière, été comme hiver, en crue ou sécheresse. Les fossiles qui nous racontent ce que nous sommes, les planètes lointaines, les amis retrouvés, les chats et les bassins à nénuphars surtout tôt le matin ou tard le soir, les serres tropicales, les libellules et la macro-photographie, faire des crêpes le dimanche et de la musique n’importe quand. Faire de son mieux. Lire un livre vingt fois et l’oublier. Le donner, le perdre, l’offrir. Boire un thé avec une inconnue, un chocolat dans un café, discuter avec quelqu’un que l’on ne connaît pas mais que l’on reconnaît comme des nôtres. Recevoir une lettre, comme ces lettres d’amour que Cherie m’envoyait à l’époque où, et qu’elle affublait à chaque fois d’un baiser rouge à lèvres sur l’enveloppe, ce qui, je crois, faisait rêver mon père avant sa mort, comme si, d’une certaine façon, je reprenais le flambeau de quelque chose qui lui tenait à cœur, malgré ses mains froides et son silence.

Les beaux objets, les vélos et les appareils-photo, les meubles uniques, les meubles inutiles, les plantes carnivores, les 6X6 et certainement pas les 4X4, les vieilles voitures d’avant quand, d’avant quand je me le demande. Mais il existe un jour une date où plus rien ne semble avoir de charme. Et où ce qui fut produit la veille de ce jour cette date avait une forme un style, une volonté créative qui nous échappe aujourd’hui. Un kayak en bois, comme dans le film de Podalydès. Un objet unique, un sur-mesure, une vieille bicoque, un arbre tordu, un chêne ou un saule tortueux, un châtaignier gigantesque, la cour d’une école maternelle. Des objets saugrenus, et de vieux radiateurs en fonte rouillée rouge et ocre. Les yeux des vieux dans lesquels subsiste l’humidité de la jeunesse. Les marrons à l’automne que l’on collectionne sur des tables en bois. Les dessins des enfants et leur imaginaire.
Des choses en bois. Des noisettes et des noix.
Les mains des ouvriers, les histoires des combattants, les récits des voyageurs, des recettes secrètes et des plats inconnus. Le goût de l’enfance et les bâtons de réglisse, le chocolat aussi, la vanille dans les crèmes, la première main dans le premier soutien-gorge, quand c’est la fille qui la prend et la glisse pour vous, et que tout glisse soudainement.
Le Canard Enchaîné et le mercredi. La veille des grands jours, les photos étranges. Les villes pas calibrées. La pluie lumineuse.

De vieux parcours. De vieux hôtels.