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Elle se barre

jeudi 21 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Je me barre, ça y est !

Elle est souriante et presque pliée en deux comme si elle nous avait joué un bon tour, un peu après ses quarante ans, elle n’en pouvait plus, de faire partie d’un pool de secrétaires, à faire ceci, à faire cela, à parler bigoudis mises en plis et divorce ou repassage, à regarder s’éloigner d’elle ceux qui pouvaient s’éloigner d’elle. Depuis qu’elle a un logement social, elle me confie qu’elle est libre, qu’elle veut faire de l’intérim et quitter les mégères et les sans entrain, qu’elle n’en peut plus et puis surtout…
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Elle s’approche de moi, mi-confuse mi-rieuse, au milieu du couloir derrière les portes fermées, plus plein de sincérité, un sentiment dont j’ai perdu l’habitude : elle me dit : « Depuis décembre, j’ai quelqu’un ! » Elle est ravie. Elle est sincère. Si c’est l’amour, c’est la merde mais bon.

Je la félicite pour les emmerdes à venir, c’est comme partir en voilier, il faut se méfier du vent mais je ne lui ai pas dit. Et des courants contraires. Mais je ne lui ai pas dit. Et des requins mais je me suis tu. Et puis aussi des plus gros navires, des chalutiers, des porte-containers. Et surtout se méfier de la nuit.

Et pire encore : se méfier de tout.

Mais je n’ai rien dit.

Enfin si. J’ai fini par lui dire qu’elle avait bien raison. Elle a trois mois de salaires d’avance, de quoi tenir l’hiver et même le printemps, puis de postuler à Pôle-Emploi enfin je ne sais plus. Je lui demande si elle compte voyager, elle me répond que dans sa tête c’est déjà bien. Et j’avoue que je l’aimais bien vu qu’elle était un peu folle, et qu’elle va me manquer.

- "Ça, je m’en fiche : faut pas se retourner. "

Elle me dit :

- « Tu te retournes trop. Je sais bien que t’as des gosses et pas moi, mais ça, se retourner, c’est typique des Capricornes. Faut pas te retourner.

Je lui dis que je suis bélier.

- Ah, ben je comprends mieux maintenant. Deux béliers ensemble, c’était promis à la catastrophe !
- Ah oui bien sûr ! que je réponds.
- Ah : tu vois ! Tu le savais !
- Oui, évidemment. Ça fait dix ans que tu me l’as prédit.
- Bon et toi, tu me prédis quoi ?
- Ben, comme t’es vierge, je sais pas trop. Le mieux c’est de faire de ton mieux. C’est un truc de vierge de faire de son mieux, non ?
- Je suis sagittaire.
- Ah, ben ça doit être bien aussi de toutes façons.
- Tu continueras à me dire ce que je peux lire ?
- Oui, j’espère que ça continuera à te plaire, ou à te faire rire.
- Oui, moi aussi. »

J’en avais gros sur la patate de la voir partir, même si c’est dans trois semaines à cause du délai légal. Je ne sais pas si c’est parce que j’aurais dû partir moi aussi, ou parce que je ne la reverrais plus.