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La mauvaise porte

lundi 18 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Se tromper de porte. Parfois j’ai l’impression que ma vie entière est une erreur d’aiguillage. Comme se tromper de porte et arriver dans une réunion pour se rendre compte au bout de quarante-cinq ans que l’on n’était absolument pas concerné par la question traitée, qu’elle n’avait pas un grand intérêt, voire qu’il n’y avait pas de question traitée, mais juste du temps perdu.

J’y pense parce que je suis au dernier rang d’un amphi où dorment d’habitude les mauvais étudiants, cachés derrière des ordinateurs à pas de prix, qui leur permettent du tuer l’ennui, l’ennui même d’être-là, au sens heiddeggerien, c’est-à-dire au sens incompréhensible de ce qui pourrait donner un sens à la vie. Pour ma part, je ne sais plus très bien.

J’aurais bien aidé les enfants à trouver du sens dans la vie, à être honnête et à aimer jouer. Mais comme dit le petit, comment devenir honnête quand maman est une grosse menteuse ? Oui, difficile… Souvent je me sens paresseux. J’aurais dû prendre des risques comme un libéral, mais voilà. Je me suis trompé de porte presque à chaque fois. Restent quelques achats douteux, des passions où je papillonne, et quatre enfants auxquels je ne peux plus rien promettre. Je me suis trompé de porte, mais je ne suis pas le seul.

Etre au dernier rang et en hauteur permet de voir ce que font les autres. Et pas un n’écoute cette oratrice débile qui croit à l’intelligence émotionnelle, grosse connerie. Mais ça se vend bien, il faut que tout cela se vende, il faudrait être vendeur. La femme devant moi regarde son planning, bleu vert et rose. C’est un planning standardisé qui organise le reste du temps avant sa mort, heure par heure et jour par jour. Comme moi, vieillissante, elle note les anniversaires annuels. La sortie des poubelles. Les heures des baby-sitters. Une autre vérifie ses syllabus. Un troisième achète en ligne des godemichets chinois, pour donner un peu de sel et d’exotisme à sa vie de célibataire endurci. Il me regarde en souriant. J’ai un peu peur. Ma tolérance pour l’homosexualité masculine s’arrête aux frontières de mon slip en zinc, mais j’aime bien Simon, c’est son nom. Et puis la blague sur mon slip en zinc l’amuse toujours beaucoup. Il m’a proposé d’aller voir les backrooms du Marais en invité, en sympathisant, comme à la manif homosexuelle vue par Reiser. Mais j’ai dit non merci. Vincent n’est pas du genre à s’être trompé de salle. Quelle chance quand on y pense.

Les enseignants quittent la salle au fur et à mesure : on a toujours mieux à faire. Pour ma part, oui, pour ma part, voire pour ma part du gâteau, je quitterais bien la salle pour toujours, en fermant les volets comme à l’avance de longues vacances, et j’irais avec Jules Verne loin, quelque part où les gens ne s’ennuient pas parce qu’ils souffrent.

Mais c’est trop cher, sans doute.

Et puis Joëlle va encore me raconter que je me répète.