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Juste avant d’être une femme

vendredi 8 janvier 2016, par Grosse Fatigue

C’est un titre à la Patrick Juvet, je veux dire un titre disco qui sonne, qui claque, claquant et clinquant, je vais me le faire piquer par Marc Lévy c’est sûr, pour pas un rond mais enfin.

Je suis à nouveau dans le train. J’ai pris mes aises dans un quatre places. Je ramène des tirages grands formats à la maison. J’en ai offert à une collègue qui ressemble à Romy Schneider. Elle a honte d’être sublime alors s’abîme volontairement dans une parodie d’elle-même, un peu mal fagotée, un peu mal fardée, un peu sèche un peu distante. C’est juste une femme magnifique mais elle en a honte. La beauté des femmes modestes est sans doute dure à porter. Certains la trouvent masculine. D’autres femmes ne l’aiment pas, la trouvent froide ou je ne sais quoi. Moi je sais : c’est dur d’assumer. Elle a des yeux mélancoliques et une bouche boudeuse. Et pour peu qu’elle conserve les cheveux suffisamment longs, là voilà lumineuse et encadrée comme une œuvre d’art. La voilà au-dessus de nous. Je la mitraille souvent mais elle me laisse faire maintenant qu’elle s’est vue en noir et blanc telle que je la vois en moi sur du papier baryté et numérique.

J’ai rajouté du grain au tirage. On en est là : les photos numériques sont froides et analytiques et si détaillées qu’il faut s’évertuer - logiciel oblige - à retoucher le grain en en rajoutant. J’en rajoute en nombre et en épaisseur retrouvant le velouté de la Tri-X ou de la HP5.

Le temps d’avant.

Juste avant d’être une femme : c’est l’une des trois filles dans les quatre places de l’autre côté. Elle me fait face et lit Magnus de Sylvie Germain. C’est un Folio™ entre ses mains. C’est une grande fille boudeuse et elles sont trois, je suis souvent en face d’elles. L’effet du hasard car parfois, ce sont elles, parfois c’est moi. Je n’arrive pas toujours après, elles n’arrivent pas toujours avant. La seule certitude c’est qu’elles sont grandes et jolies et surtout celle-ci avec son casque blanc à lire son Folio de chez Gallimard cachée sous son casque blanc. Elle porte un bracelet en fer blanc et semble poser son regard vague sur le temps qui lui reste à porter encore quelques traits enfantins. J’aimerais la rassurer et lui dire que tout cela passera avec l’été, l’été prochain. Elle a peut-être dix-sept ans ou peut-être plus. Je suis trop loin d’elles pour savoir à coup sûr à quoi ressemblent les filles en terminale.

Elle vient de poser son livre de poche et s’endort sérieusement. Elle ne sait pas qu’elle vit les derniers moments, qu’elle nage dans l’entre-deux eaux qui la voient sortir de l’adolescence pour devenir une femme, et qu’elle risque de voir alentour des centaines d’esclaves comme moi et même des vautours. J’ai longtemps espéré que ce genre de manège s’arrêterait dans mon cas avec le bénéfice de l’âge mais il n’en est rien. Je fais attention à mes regards je me souviens : à son âge nous n’aimions pas les hommes de l’âge de nos pères qui portaient maladroitement des regards ambigus sur les filles en devenir.

Je n’ose lui proposer de poser nue non tant parce qu’elle n’a peut-être pas dix-huit ans mais parce que justement, je ne veux pas venir salir la volupté de cette distance qui nous sépare.

Amen.