GROSSE FATIGUE cause toujours....

Accueil > Mineurs > Changer

Changer

mercredi 6 janvier 2016, par Grosse Fatigue

Dans les questions qui me taraudent, il y a celle du changement, du changement personnel, de la personnalité. Il aurait fallu que je change et que je sois moins con, moins asocial, etc.

Et puis j’ai revu Melon, un pote chiant du lycée. Il a cinquante ans cette année, c’est notre classe d’âge, la classe très classe de 1966, qui devait être une sacrée belle année au niveau cinéma et musique, photographie noir et blanc et côte italienne. A l’époque, on travaillait en usine mais on rêvait de Riviera et de décapotable. J’ai revu Melon qui n’a pas vieilli. Sans doute parce qu’il est brun et qu’il a résisté au soleil. Et qu’il n’est pas chauve et tout ça. Il n’a pas changé physiquement mais je m’attendais à une sorte de tassement de l’extravagance, tout en me demandant si moi-même, j’avais subi ce tassement de mes propres exagérations.

Il n’en fut rien. Melon après deux verres, c’était Melon. Il s’est approché de moi, m’a pris le bras, j’ai senti son haleine d’il y a trente ans, et sa manière de me regarder de travers, comme un alcoolique à la Gainsbourg. Il a alors insisté pour me parler de choses qui ne m’intéressent plus, tout en insistant pour que j’aille à la piscine alors que je ne sais pas nager, en me disant que ça me ferait du bien, pendant dix bonnes minutes, avant de me proposer de boire pour continuer à oublier.

J’ai une bonne mémoire et je n’oublie rien. Je me souviens très bien de ce début juillet 1984, quand Melon m’avait tenu le même discours, mais à propos d’un élément de sa chaîne hi-fi, et d’une fille qu’il voulait conquérir, et encore, je pèse mes mots. A l’époque, il avait déjà cette haleine étrange clop-pétard-pinard…. il me tenait l’avant-bras, comme pour une confidence fondamentale, et je n’avais qu’une envie, c’était de lui dire ta gueule tu m’emmerdes.

Dans son approche récente, il n’a sans doute vu en moi que le même individu, celui de 1984, celui du lycée, et il avait bien raison, puisque lui-même n’a pas vraiment changé. Alors je pense aux perspectives, aux trajets. Aux trahisons.

Je pense à la mère de mes gamins, et quand nous parlons d’elle, nous nous demandons la même chose : était-elle comme cela ou bien a-t-elle changé ? Si j’en crois ce que j’ai vu de mes vieux amis, plus ou moins assagis, je dois constater que l’on ne change pas beaucoup. On s’affaiblit, on se courbe, mais on est là depuis nos seize ou vingt ans, comme si la personnalité se cristallisait pour toujours avec une faible marge de manœuvre, à l’aube de la jeunesse. Les accidents de la vie peuvent bien nous courber ou nous anéantir, mais changer ?

J’essaye de changer moi-même, d’aller contre-nature, à la manière d’un sportif qui aurait des points à corriger, qui voudrait changer d’appuis, de technique.

Vu les retours alentour, le succès est faible.

La mère des gamins est partie avec le plus gros con de la terre, en espérant le changer. Je me souviens de l’une de nos discussions avant son départ, avec l’un des amis qui connaît bien son abruti. Elle espérait le changer. Trouvera-t-elle des amis à celui qui n’en a pas ? Des sentiments à celui qui n’en éprouve pas ? Croit-elle qu’un jour mes enfants aimeront un crétin aussi fondamental qu’un Mormon ? Elle croit : la voilà croyante.

Peu probable. Le changement n’arrivera pas, pas plus que Melon n’a changé, nos trajectoires ne sont que des confirmations d’un moment de l’enfance, très tôt, très lointain. J’aimerais comprendre exactement à quelle heure nos nous-mêmes se trouvent ainsi presque figés.

Mais il est sans doute trop tard.