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Il est cinq heures,
mardi 5 janvier 2016, par
Le réveil est programmé pour six heures du matin mais à cinq heures pile, j’ouvre les yeux. C’est comme ça tous les matins. J’ai beau m’endormir entre deux livres et de la musique, à plus d’heure, il faut que mon corps se réveille pile à cinq heures du matin, et pourtant ce n’est pas Paris, ce n’est pas Dutronc, je n’ai pas de frisson, je ne claque pas des dents et je ne monte pas le son. Je suis du matin depuis qu’elle est partie. C’est incompréhensible et désagréable mais si l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors il faut que je profite de cette fenêtre de tir, peut-être est-ce un signe pour écrire ou mieux profiter de ces jours sans intérêt, de séminaires en séminaires où l’on préfèrerait tous être ailleurs. Que sais-je ?
Il est cinq heures du matin et je fais le point sur ma vie. Ce n’est pas indispensable mais me viennent à l’esprit et dans le désordre tout un tas d’idées saugrenues. Il faut que je finisse de repeindre en blanc la cuisine, il faut aussi que je finisse la vaisselle, il ne faut pas que je fasse de cette maison une tanière de célibataire à cause des enfants qui y viennent encore en attendant le jugement. J’ai perdu une famille, mais pas encore les petits.
Il est six heures du matin et je me lève sans enthousiasme.
A vrai dire, tout est affaire de choix. Si l’on m’avait dit, il y a quelques années, que je serais du matin, que je serais seul, et qu’elle serait partie pour le plus gros beauf de la terre, j’aurais bien ri. Alors le matin, je fais le point : il s’agit maintenant de faire les bons choix. Mais il n’y a pas beaucoup de choix à faire. Arrêter de subir, se lever du bon pied, écrire et prendre des photos, reprendre le vélo dès qu’il fera beau, être heureux en buvant du vin avec des amis musiciens et tout ira bien. Le reste n’est qu’un décorum abstrait. Je me demande statistique combien nous sommes à vivre cela, le réveil avant le réveil, le bilan comptable de la somme des erreurs pondérée par celle des espoirs et du temps qui nous reste à vivre, moins les amis perdus, plus ceux que l’on a retrouvés, et sans compter les traîtres qui, dans mon cas, composaient généreusement la frange des cons dont on ne tirait rien. Ouf. Ceux-là ne sont pas une grosse perte. Dans la bataille, je me suis même aperçu que mes anciens mépris se trompaient de cibles, et que l’honnêteté de certains était la première chose à peser chez les amis. L’honnêteté est une qualité rare. Je vais essayer de m’y tenir. Dès cinq heures du matin, même si les balayeurs ne sont plus pleins de balais et qu’il y a bien longtemps que je n’ai pas vu la Place Dauphine ou quelques 4L dans la lumière blafarde des matins de mai 1976, par exemple.