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Vers l’Espagne ou ailleurs

mercredi 9 décembre 2015, par Grosse Fatigue

Ce soir je suis fatigué. Tout se répète à l’envi, je ne vois pas assez mes enfants, et quand ils me voient parfois je leur fais peur parce que c’est flippant tout cela.

- "Papa, on ira où s’ils arrivent ?
- En Espagne par exemple,
- Oui mais papa y’a eu la guerre d’Espagne, t’as pas peur que...
- Non, je les crois vaccinés. Ils sont restés un peu catholiques, un peu corrida, mais je les crois bons dans l’ensemble, pour un temps, un temps seulement.
- Oui mais t’es sûr qu’ils viendront ?
- Ça fait trente ans bientôt que je me pose la question et que je les observe. Depuis que le cousin de Sophie, qui était mon meilleur ami, a eu une injection d’arabophobie par son père qu’avait fait l’Algérie. Ça vous marque une adolescence. Et puis on avait des Mobylettes™ avec des moteurs chromés, et c’était toujours des Arabes qui nous les piquaient vu qu’ils n’en avaient pas. C’est pratique de trouver plus minable que soi, ça fait des accusations.
- Mais on n’a pas de Mobylettes™ nous papa ?
- Ce que je veux dire, c’est que les types qui héritent du racisme par leur père, eh bien, ce racisme s’exprime pour toujours si, par exemple, on leur pique leur Mobylettes™ avant quinze ou seize ans. Moi, tiens, eh bien, le racisme, ça m’est passé rapidement, dès le lycée : personne ne m’a piqué ma mob à vrai dire."

Le petit est rassuré. Puis il continue :

- " C’est pour ça que tu veux pas qu’on ait une mob ?
- Non, c’est parce que ça vous habitue à consommer, à perdre du temps, à polluer, à prendre des risques, ça vous habitue à ne pas être ce que l’on peut être quand on n’a pas de mob. Mes meilleurs vrais amis n’en avaient pas. Ils lisaient des livres et leurs parents étaient psychologues ou enseignants. Je les enviais de ne pas posséder ce désir de posséder.
- C’est un peu compliqué quand même.
Le plus grand intervient :
- Tu crois qu’il vaut mieux ne rien désirer ?
- Oui. Je crois qu’il vaut mieux ne plus avoir de besoin, se contenter d’un rien, savourer le peu, aimer ses amis.
Le plus petit reprend :
- On aura des amis en Espagne ?
- Oui, des amis et des châteaux en Espagne, c’est pour ça que c’est fait l’Espagne, c’est pour fuir. Ils sont partis dans les années trente, ils nous aideront dans les années qui viennent, si besoin.
- Mais on fera quoi là-bas ?
- Tu apprendras l’espagnol et on s’en sortira.
- Et c’est tout ?
- C’est déjà bien.
- T’es sûr papa ?
- Je ne suis sûr de rien.
- T’as peur alors ?
- J’ai peur alors."