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On n’est pas sérieux quand on a cinquante ans
dimanche 29 novembre 2015, par
Samedi soir prochain c’est l’anniversaire de Damien. Je ne me souvenais plus qu’il avait redoublé un jour, sans doute avant de se connaître quand, en 1982, nous avions découvert par hasard à la sortie du self, qu’on nous avait admis en première B. Redoubler n’a pas d’importance. C’est juste qu’il a cinquante ans avant nous. Avant nous, les Terminales 2 B.
Tu vois, je n’ai rien oublié.
C’était il y a très longtemps.
Son amie organise pour ses cinquante ans une fête clandestine, c’est ce que font les femmes amoureuses et c’est charmant. Elle nous a demandé de retrouver ceux qu’elle aurait pu oublier, parce qu’il lui manque des contacts, il lui manque l’historique. Je lui ai donné des noms, les noms de ceux qui auront cinquante ans l’année prochaine.
Nous.
Son amie. C’est une nouvelle. Mes amis ont de nouvelles amies. Les autres ont l’ennui. Enfin ça dépend. Enfin la plupart. Enfin je ne sais pas.
Il fête ses cinquante ans et que va-t-on se dire ?
J’espère qu’il ne sera pas nécessaire de faire le point, de parler de perspectives, de dresser le bilan. Pour ma part, je n’ai pas envie de ressasser. Je dirais à Damien qui est dans mon cas depuis vingt ans, que je suis dans son cas depuis un an. Je ne sais pas si cela nous rapprochera. C’est sans doute inutile. L’âge nous suffit. La complicité aussi. J’avoue que l’on n’est pas sérieux quand on a cinquante ans. Nous n’avons pas connu la guerre. Il y a déjà des morts, mais pas la guerre. Il y a des disparus, mais l’Algérie, pas connu.
Il y a les enfants. Les siens, les miens.
Autrefois, je ne voulais pas que mes enfants tombent de l’arbre avant l’automne. Les siens sont tombés tôt. Dans les arbres, il y a des cabanes pour les enfants, des cordes pour Tarzan. Des hamacs et des aventures. En Terminale B, en 1984, sil ‘on avait su, on n’y aurait pas cru.
A l’époque, il avait tout. Il ressemblait à Mats Wilander. Il avait une jolie moto et il était très sympa. Les files à ses genoux. Et puis la suite nous voilà égaux. Des enfants à la dérive, leurs mères, les amours les emmerdes, plus on avance et plus l’on chute.
Que va-t-on se raconter ?
Je vais faire un peu semblant je dois le confesser. Un peu semblant ça ne peut pas faire de mal. C’est que je ne veux pas gâcher la soirée. Cinquante ans, c’est trop tard vous savez bien. David a cinquante ans l’année prochaine et c’est ce qu’il m’a dit : on vient de le licencier. Entre les licenciés, les cancéreux, et les naufragés des couples improbables, elle est belle notre terminale. Restent les dix ans à venir. J’avoue n’avoir aucun projet. Mais vraiment rien. Je ferme une parenthèse et je regarde mes gosses. J’espère que tout ira bien.
Mais je n’ai plus rien à dire. Je vais enfin me taire je crois.