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Du temps où je m’appelai Jacky

vendredi 13 novembre 2015, par Grosse Fatigue

Mon plus vieil ami me le dit : je croyais que tu étais un aventurier. Il me l’a dit plusieurs fois. Même à l’époque du collège où j’envoyais des pots de yaourts pleins sur d’autres élèves bien plus normaux que moi, il imaginait ma folie comme une essence divine, presque libertaire, qui me permettrait à moi, le fumiste, d’aller de par le monde, sans attache, en racontant des choses folles à des gens normaux.

Quand j’ai eu un premier enfant, il a été étonné. Puis un second, puis encore. Il n’a pas compris pourquoi je m’étais attaché à leur mère, qu’il considérait comme un monstre. On voit mieux de loin.

Il y a un moment dans la vie où l’on oublie de fuir. Où l’on s’arrête. Je n’ai pas eu le courage. Je cherche encore dans ma mémoire ce moment précis où je me suis arrêté. Ce même ami m’avait encouragé à poursuivre après la thèse, à devenir maître de conférence, à passer des concours, à publier, à y croire. Sans allocation de recherches en thèse, il a fallu manger. Petits boulots et autres pis-allers. Voilà peut-être le moment de la mauvaise voie, de l’erreur. Ou bien est-ce plus tard ? Que de mauvais choix. J’en ai honte aujourd’hui. Certains me disent qu’il n’est pas trop tard, mais j’ai un fil à la patte et quatre enfants à sauvegarder. J’envie les courageux. Ceux qui sont partis. Je suis parti et revenu trop vite. Les Puces et quelques livres. Tout cela me suffisait.

Je m’en veux aujourd’hui. J’ai prôné le contraire de ce que j’ai fait. Je regarde mon fils. Il a quinze ans. J’hésite à lui dire tout cela. Il n’est pas très scolaire mais il a quelque chose. Je ne sais pas s’il faut qu’il sache. Il n’est pas encore formaté. Il ne sait rien de ce qu’il faudrait faire pour finir à l’abri - bon bac, classes prépa, bonne filière, école machin, école truc - peut-être vaut-il mieux ne rien lui dire. Je lui ai proposé de suivre mes conseils, mais de ne plus obéir. A quinze ans, on n’obéit plus. Je l’espère aventurier, tout en voulant le voir à l’abri du monde entier, tel qu’il viendra. Je ne suis pas un bon modèle, je ne l’ai jamais été. Je n’ai pas grand-chose à offrir à mes enfants maintenant. Le modèle de l’honnêteté a été brisé, l’avenir est au hasard. Se regarder au miroir de ses propres enfants, c’est un sale moment. Je ne sais pas comment font les autres gens. J’espère que les gens s’en foutent : ça expliquerait tout. A voilà ! Ça expliquerait tout !

Mais non.

Du temps où je m’appelai Jacky™, tout était tellement plus simple.