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40 migrants

mardi 3 novembre 2015, par Grosse Fatigue

GPS : PMU

- "Tu te rends compte ? Ils vont en mettre quarante là-dedans ! Quarante !

- C’est qui parlent même pas français ! Qu’est-ce qui vont foutre de leurs journées ?

- Vont bien tout bousiller.

- Oui, ils vont tout bousiller. Surtout que je me demande bien pourquoi l’immeuble est vide depuis un an !

- Avant, c’était des bidasses là-dedans. Y’avait pas de problème !
- Non, avant, c’était tranquille. Mais là, on va rien reconnaître !
- En plus ils parlent pas français.
- Tu l’as déjà dit qui parlaient pas français. C’est des Ethiopiens je crois.
- Non, c’est autre chose. Enfin bon, c’est des Africains, c’est des pauvres gens. Qu’est-ce qui vont pouvoir foutre là ?
- On peut pas les accueillir comme ça non plus hein ! Et nous aussi on a pas un rond, pourquoi qu’on nous propose rien ? "

Le patron du Bar-Tabac ne dit rien. La lumière est jaune et fade. Il me passe mon seau en silence. Je lui passe mon seau sans rien dire. Il faut que je passe plus souvent récupérer du marc de café, parce que mon seau n’est pas assez grand pour sa production d’octobre. En toile de fond passent les saucissons de TSF Jazz. « Saucissons », c’est comme ça qu’on dit me disait mon prof. de batterie, quand il s’agit de standards éculés. Quand c’est chiant. Des saucissons.

Le journal local nous annonce que l’immeuble vide du bout de la rue va accueillir des migrants. Un voisin raconte que ce ne sont que des hommes, et des jeunes, et qu’ils ne parleront pas français, et qu’ils ne pourront pas travailler, et qu’ils n’en auront même pas le droit !

- "Ben tu parles qui pourront pas travailler : nous on peut, et on a rien !
- Quand c’est la dernière fois que t’as cherché du boulot toi ?
- Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Y’en a pas dans ma branche !
- Et c’est quoi ta branche ?
- C’est la maçonnerie, la plomberie, tout ça !
- Ça fait beaucoup et ça fait trop, non ?
- Ben quoi ? J’ai même été peintre !
- Et tu crois que les gars qu’arrivent d’Afrique y vont te piquer le boulot que t’as pas ?
- Ben faut voir ! En tous cas, y’en aura pas plus grâce à eux !
- Et c’est que des mecs ! Où sont leurs femmes ?
- Moi je dirais rien si c’était que des femmes !
- Ben qu’est-ce qu’on en ferait ? Tu crois qu’elles viendraient boire des coups avec nous ?
- J’en sais rien, mais peut-être qu’on les aiderait mieux. C’est plus naturel."

En rentrant chez moi, à trois pas du PMU, j’avais un peu honte. Je n’ai rien dit du tout. Je les ai écoutés. J’ai balancé mon marc de café dans mon compost pourri. J’ai regardé la grande maison vide. Je pourrais en loger des clandestins moi madame, avant que la mère de mes enfants ne revende le lieu puisque, paraît-il, c’est dorénavant ce qu’elle veut. La chatte est venue vers moi en miaulant, c’est ainsi quand les enfants sont absents.

Dans les toilettes, la une de "La recherche" titrait : la réalité n’existe pas. C’était une vérité scientifique. Dans le bouquin que je lis, "Sapiens", un livre sur l’histoire de l’humanité, je lis que sapiens, vous et moi, avons détruit toutes les autres espèces humaines sur notre passage.

Je n’en tire aucune conclusion. La chatte me regarde. J’ai l’impression d’être dans le désert.