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Je suis un mâle blanc dominant

lundi 19 octobre 2015, par Grosse Fatigue

Dans un bar de Los Angeles en 1991, une Noire étrangement blanche me disait que j’étais un mâle blanc dominant, et que je ne pouvais pas comprendre sa situation. Je lui répondais que j’étais surtout étranger à tout cela, pas plus mâle que blanc, mais français, universaliste, de gauche, et qu’elle, en tant qu’Américaine nourrie aux 110 chaînes de télévision, au Fast-Food et à la pensée binaire, ne pouvait rien comprendre à la peine causée par une telle remarque parce qu’elle ne comprendrait sans doute pas mieux les frustrations d’un fils de prolo en France. Ce qui ne lui fit ni chaud ni froid puisque le but de sa phrase était avant tout de rester entre-soi, en l’occurrence entre femmes noires, car tout discours de ce genre n’a finalement rien d’un reproche mais tout d’une constatation : il n’y a aucun espoir. L’idéologie américaine qui nous submerge est un mensonge global, c’est l’apartheid en kit. Cette femme noire à la peau blanche ne voulait pas comprendre que je me moquais bien de son patrimoine génétique, et que nous avions sans doute d’autres choses à nous dire, des choses sensées, sur la beauté du monde ou la nostalgie étrange que m’inspirait ce gros pélican posé sur la balustrade pacifique autant que l’océan, derrière la vitre qui nous séparait du vent chaud de l’hiver californien. Mais les gens aiment les barrières, surtout quand il s’agit d’en faire une essence, ça les rassure et puis, surtout, ça ne demande aucun effort. C’est l’entre-soi, et c’est l’évidence. Malgré sa peau blanche, elle se sentait noire.

Dans Outsiders, Becker nous parle de sa première recherche, sur les ethnies américaines. C’est peut-être dans un autre livre d’ailleurs, je n’en suis pas certain. Toujours est-il qu’il se demande bien ce qui peut caractériser objectivement l’appartenance ethnique. Il en réfère à son enseignant, qui lui répond que tout est dans la croyance. Les gens appartiennent à ce qu’ils croient appartenir. Si une femme à la peau blanche se dit noire parce que son père l’était mais qu’elle ressemble à sa mère qui ne l’était pas, eh bien, ainsi soit-il. Inutile d’objectiver quoi que ce soit. L’important est d’y croire.

J’ajoute qu’il vaudrait mieux s’en foutre et que si tout le monde se moquait bien de la couleur de peau ou du genre ou des attributs de l’autre... Lévinas aurait écrit moins de livres....

J’aurais aimé oublier ce bar en bordure de l’océan, son pélican et cette femme qui ne voulait rien me dire parce qu’elle me considérait comme un ennemi naturel des femmes - étant un homme - et des Noirs - étant un blanc. J’aurais pu lui prouver que je n’étais pas plus blanc qu’elle, puisqu’il suffit d’y croire, mais ses croyances étant ce qu’elles étaient, tout devenait inutile. Parfois, il n’y a pas de dialogue possible, surtout chez les croyants. Imaginez qu’un zélote accepte ne serait-ce qu’une seconde, et très sincèrement, l’inexistence de dieu... Où irait-on ?

J’aurais donc aimé oublier tout cela. Mais la vague américaine nous a submergés depuis longtemps. Quelques intellectuels ont cru bon ramener les études binaires des campus américains dans nos universités à nous, et me voilà donc accusé à nouveau d’être un mâle blanc et montré du doigt comme tel ici-même, à coup de # et sans bémol. C’est si facile. La nouvelle doxa de cette gauche idiote consiste à faire de l’essentialisme un horizon indépassable. En abandonnant l’égalité au profit de la diversité, en obéissant au canon USA qui veut que les minorités aient raison contre une majorité imaginaire, en nous disant comment se penser et en nous montrant du doigt, nous voilà impuissant à nous aimer, nous parler, dialoguer et nous reconnaître comme nous devrions nous reconnaître. Ce structuralisme binaire (SIC) et bien-pensant, ce politiquement correct absurde aura fini de nous noyer dans l’impuissance et le quant-à-soi. On ne pourra même plus reprocher aux vrais fascistes de se vouloir blancs, et mâles, à la Zemmour mon amour : tout cela sera bientôt aussi légitime qu’aux Etats-Unis, où l’on peut dire tout et surtout n’importe quoi, c’est garanti par un amendement...

Bienvenue à nos nouveaux maîtres à penser : les cons.