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Parce qu’on ne s’en souviendra pas

samedi 17 octobre 2015, par Grosse Fatigue

Le petit me demande pourquoi le rap c’est nul. J’ai pas dit ça petit. Oui mais papa, c’est quand même nul. Mais pourquoi c’est nul ?

Ce matin j’entends Oxmo Puccino à la radio qui passe sur la télévision de chez Sophie. Je regarde l’écran et je me dis qu’EDF doit être ravi que l’on consomme un écran si grand pour écouter en bleu France-Inter. Sophie zappe immédiatement. Je la remercie. Quand je pense que l’on a osé comparer Stromae à Brel, il n’y a pas que le talent qui se perd, il y a aussi les coups de pieds aux fesses.

Pourquoi c’est nul le rap papa ?

Je ne peux pas lui dire parce que c’est de la merde.

A la maison, on ne dit pas de gros mots.

J’ai trouvé la réponse.

C’est parce que l’on ne s’en souviendra pas. Et que si jamais on en écoutait à nouveau, dans l’avenir, on trouverait ça sans intérêt, on n’aurait pas d’émotion. Parce que le fameux Oxmo, il ferait mieux de chanter. En arrière-plan, la musique africaine, je m’en souviens. C’était très beau. Mais qu’un type parle dessus, ça n’avait aucun intérêt. J’ai vu l’une de ces comparaisons rigolotes, avec une coupe Kévin années quatre-vingts, et un hipter barbu d’aujourd’hui. Dans dix ans, les poubelles du ridicule les auront accueillis en égaux. Il n’y a rien à recycler de l’insignifiance. Rien. Castoriadis a dit des choses magnifiques là-dessus. Des dizaines de musiciens crèvent la dalle en jouant de la guitare quelque part, mais ça ne fait pas un marché pour les millions de sourds que nous n’éduquons plus.

Papa, tu crois que c’est à cause de ça ?

Oui, c’est à cause de ça.

Et papa, tu te souviens de quoi ?

Je me souviens des hélicoptères au Vietnam sur Paint it black, par exemple. Je me souviens de la véranda sous la pluie derrière les lilas chez Guislaine, cette fille étrange qui avait vingt ans et écoutait Satie sur un radio-cassettes. Je me souviens du radio cassettes et des Gymnopédies. Et tu sais, à chaque fois que je les entends, je revois Guislaine, que je n’ai jamais revue, et dont j’ai oublié les traits sauf quand Satie passe par hasard. Alors là je la revois clairement, son joli nez et sa timidité, ses grands yeux noirs et cette tristesse permanente et pour toujours. Je me souviens d’Eleanor Rigby, parce que mon frère n’écoutait que ça, et de Michel Fugain en 1972. Je me souviens de ce qui marque. Le reste est préfabriqué, pré-mâché, pré-pensé, le reste est standardisé et laid.

Papa, il faudrait que j’évite la vie standardisée ?

Oui, ce serait bien. Parce que sinon, tu ne t’en souviendras même pas de ta vie. Et alors là, ça ne sert plus à rien la vie, non ?