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La musique c’est fini

samedi 3 octobre 2015, par Grosse Fatigue

Le plus grand me regarde de son drôle d’air, comme si, justement, il contemplait l’air entre nous, séparant le bon grain de l’ivraie, comme s’il avait cette capacité étrange de voir l’invisible et, mieux encore, de s’en étonner.... Puis il me dit : "Papa, je crois que la musique, c’est fini."

Il a souvent ce genre d’annonce à faire. Je ne sais pas ce que cela donnerait sur un site d’enchères. "La musique, c’est fini, mise à prix : 1 dollar US". Et pourquoi la musique serait-elle finie ?

Pour deux raisons. La première, c’est qu’il n’y a pas assez de notes. Il faudrait en inventer d’autres. Mais enfin Nicolas, tu sais bien qu’il suffit de remplacer une noire par quatre doubles croches pour changer tout, non ? Ça ne suffit pas papa, tout a été fait. C’est pour cela qu’il y a l’autre raison : si la musique pouvait continuer à exister, on entendrait autre chose à la radio ? Parce que franchement, c’était mieux avant pour tout en musique, non ?

J’ose répondre non. Même si je partage l’avis de mon enfant de quinze ans, je n’ose abonder dans son sens... Je lui dis : regarde, il y a Avishaï Cohen par exemple, ou Snarky Puppy, ou Kamasi Washington, non ? Il doit y en avoir plein d’autres d’ailleurs, que l’on ne connaît même pas encore ! Sans compter les rythmes impairs de l’Inde dont on rêve, et les quarts de ton des Arabes quand ils étaient géniaux, alors mélange tout cela, et tu auras de jolies recettes mon fils !

Mais papa, pourquoi personne ne le fait vraiment ? Pourquoi rejouer Wagner ? Tout a été enregistré, tout a été dit. Tu le dis toi-même, rien n’arrive à la cheville de Barbara, à l’épaule de Brel, aux larmes de Ferré... Tu le dis oui ou non ?

Oui un peu. Mais c’est parce que je suis d’une autre génération, il ne faut pas m’écouter, il ne faut pas m’entendre, il faut aller de l’avant, il ne faut pas me croire !

Mais papa, si tu entendais ce que l’on entend au lycée, c’est terrifiant, ça me rend seul, dans mon coin. Je ne peux pas parler aux autres, ils sont vides.

Dimitri m’a dit à peu près cela à propos des filles de vingt-cinq ans, vides de tout et de rien, et qui préfère les trentenaires passées à cause de la polissure du temps, de l’usure, de l’expérience, pour se sentir plus grand...

Alors pourquoi continuer à nous éduquer, papa ? Bien sûr que la musique va disparaître : regarde, elle est déjà gratuite. Tout ce qui est gratuit n’a plus aucune valeur. Même le cinéma disparaît au profit des séries. Qui veut devenir musicien ? Personne. Même dans les classes à horaires aménagés pour la musique, personne ne veut devenir musicien, c’est juste pour que l’on soit meilleur à l’école à force d’apprendre le solfège...

Mais si tu parles comme ça gamin, tu ne vas jamais devenir ce que tu dois devenir ! Oublie tout cela ! Avance, apprends, et ça viendra tout seul !

Papa, va-t-on vraiment devenir quelqu’un ? A quoi ça sert ?

J’ai dit : "Tais-toi donc, tiens, écoute ça, les Talking Heads, tu connais ? C’est nouveau, à jamais !"

Ah oui, c’est bon ça !