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Il y reviendra

mercredi 1er juillet 2015, par Grosse Fatigue

Le prof de musique me dit qu’il y reviendra. Mon fils n’a plus envie du conservatoire, du piano, de Bach ou du solfège rythmique. Il passe en seconde ça va bien comme ça. Il veut écouter NRJ, lire de mauvais livres anglo-saxons avec des couvertures bigarrées et des histoires idiotes, il veut manger au KFC avec ses copains en traitant les autres de beaufs ou de "ghetto", nouveau synonyme de je ne sais quoi.

Mais le prof de musique me dit qu’il y reviendra.

On est allé en famille voir le plus petit passer le test de saxophone. C’est pratique à trimballer. Et puis j’étais pour même si je préfère le bugle. J’étais pour à cause de Coltrane et de Brecker. Et puis là, je viens de découvrir Kamasi Washington. Alors je suis encore plus pour.

Le petit a répété les rythmes du prof. Il a joué si, puis la, puis sol, et les trois mêmes à l’envers. Il m’a dit ensuite : "Au début, j’étais pas pour, mais maintenant que j’ai soufflé dedans, j’adore.".

Leur mère m’a ramené chez moi. En bagnole, j’avais le cafard. Je trouvais qu’on faisait une jolie famille avec notre quartet de gosses, notre quartet de jazz. Conjuguer au singulier tu apprendras.

Et le prof de piano m’a dit, à propos du plus grand : "Il y reviendra".
Mais moi, je ne crois pas. On n’y revient jamais. Il a commencé tôt, et voilà qu’il est essoufflé. Il veut des choses simples, de la musique simple, de la bouffe simple, des trucs d’adolescents : des trucs commerciaux. J’espère que le petit ne laissera pas tomber le saxophone pour les mêmes raisons un jour. J’espère que tout le monde va s’accrocher. J’espère qu’on fera un quintet parce que, franchement, personne voulait jouer avec moi à la batterie : j’étais trop nul. Alors que mes enfants, il faudra quand même qu’ils obéissent à leur père ! Enfin j’imagine.

Non, on n’y revient jamais. Quand on abandonne un truc à l’adolescence, on n’y revient jamais, ou alors mal, ou alors trop tard. C’est pour ça qu’il y avait des parents dans le temps, des parents réactionnaires, des conservateurs, qui disaient aux mômes d’insister, dans les familles où l’on connaissait le tuyau, où l’on jouait du bugle de père en fils. Voire de l’accordéon.

Personne ne m’a dit de poursuivre le dessin. Personne. J’ai aussi arrêté la pêche à la ligne. Personne pour s’en plaindre. Quand je vois le niveau technique de la pêche à la ligne dans les salles d’attente des dentistes, je me dis que j’ai peut-être raison : la concurrence est rude. Même les poissons se méfient des sonars pour les bans de carpes.

Je n’ai plus envie d’aller à la pêche. Le goût des choses a changé. Le sens des touches des pianos changera peut-être aussi. Le gamin trouvera autre chose. Peut-être quelque chose de bien. Peut-être qu’il écrira des romans.

Des romans.