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A trainer sur Tinder™

jeudi 18 juin 2015, par Grosse Fatigue

J’étais là à trainer sur Tinder. J’étais là et ça me fascinait. C’est une application, un truc nécessaire, je pèse mes mots : un truc nécessaire. Je ne sais pas si c’est de mon âge ni même si j’en ai besoin. C’est juste fascinant, fascinant notre capacité à nous montrer comme du bétail lointain, tatoué pour l’abattoir, déjà abattus par tant de peines et j’en passe : nous nous montrons en photo sur un téléphone portable et parfois on se plaît. Je ne me plais guère, c’est juste vogue la galère, c’est juste pour découvrir comment ça marche le monde XXIème siècle. Je n’ai pas encore vraiment besoin de trouver une inconnue, une distante, une charmante, non ça va merci vraiment.

J’étais là à trainer sur Tinder parce que c’est fascinant. On devrait pouvoir faire ces catégories de femmes - et sans doute d’hommes - en fonction de la manière dont on présente son visage ou son cul au monde entier des inscrits qui cherchent je ne sais quoi la perle rare. J’étais là à traîner au lieu de lire mes livres que je viens d’acheter, le dernier Taguieff, le dernier Rufin, sachant que j’ai fini dans le train le second tome de l’Arabe du Futur et que c’est beau et que ça me fout le cafard alors j’étais là à traîner sur la chaîne de production moderne des rencontres numériques. Henry Ford n’aurait pas rêvé mieux dans son cerveau rongé par la haine et l’amour de l’Allemagne de la mauvaise époque, quand leur accent nous faisait si peur. J’étais là à trainer et je n’avais pas l’impression d’être seul. J’ai juste été étonné que la pluie cogne soudainement sur les lames en pin douglas de la terrasse de mes mains faite il y a deux ans parce qu’elle me l’avait demandée, je ne l’ai pas entendue venir par la porte ouverte. L’été, je laisse la porte ouverte, c’est comme une invitation. Il y a au fond, sonore, des pigeons ramiers et des tourterelles, des voitures diesel plus rares parce que les gens dînent. Il y a au fond des tas de gens comme moi ce soir, à ne rien faire devant un écran en attendant je ne sais quoi, en attendant le plus souvent de pouvoir passer la publicité.

Et puis la vague des amis a reflué depuis quelques temps. Les jeux sont faits. C’est à moi de téléphoner.

Alors je suis alors voir ailleurs si j’étais aussi seul. J’attends parfois une lettre, un texte, un signe, n’importe quoi.

Je suis allé voir sur Facebook mon ami David, le David de César et Rosalie, oui, en quelque sorte, tel qu’il s’imagine et moi aussi, ce fou, a posté une vidéo de Romy Schneider. NOTRE Romy Schneider parce que j’avais mis une photo de Bardot pour lui prouver qu’il n’y avait pas qu’Alain Delon qu’était beau jeune dans la rue enfin bon je passe. Ah non y’avait pas qu’Alain Delon qu’était beau jeune. Alors il a sorti la carte maîtresse l’archive en noir et blanc avec sa pointe d’accent allemand que la France d’après-guerre s’est mise tout entière à adorer et moi aussi, même enfant j’y pensais en rêvant. Et tout à coup, en cliquant comme un con je me suis écroulé. J’ai regardé dehors le vide du jardin, le ciel gris et les framboises roses derrière le mur, l’herbe trop haute et la chatte inquiète, le potager en friche un peu comme dans ma tête, j’ai vu les fourmis sur mon clavier, l’invasion du vide lent et lourd dans ma tête à moi, et j’ai compris que rien ne remplacerait jamais rien, pas même la femme ignoble que j’ai tant aimée, et ce n’est pas l’annonce de l’arrivée des enfants demain qui me redonnera le sens de la fanfare. J’ai laissé mes larmes couler non sans fierté, il me fallait une petite preuve d’humanité ce soir, voilà c’est fait.

Maintenant je ne peux plus bouger. C’est moche la vie quand même des fois.