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Analog porn

samedi 19 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Dans le grand amphithéâtre, je rentre par la porte du fond. Deux-cent cinquante zombis des deux sexes se côtoient face à 250 écrans d’ordinateurs portables couplés à 250 téléphones du même acabit. Tout cela n’est guère drôle. Je rentre par la porte du fond ce que me permet paradoxe de faire face. Non pas à la vie en général mais à l’enseignant sur l’estrade qui contemple ces quelques milliers de dollars dans les poches des grands fabricants du monde numérique, Apple Samsung et trois autres clampins. L’enseignant est une femme, de ces femmes nées déjà vieilles et que l’on ne voit pour ainsi dire pas changer alors qu’en miroir nous-mêmes vieillissons. Elle veut y croire et dit du bien des étudiants à bac + 4 qui lui font face, elle nous en dit du bien, ce qui nous la rend peu crédible. Mais c’est mieux que d’être suicidaire, n’est-il pas...

Seuls les Italiens savent faire des films érotiques. L’Italie aurait dû remplacer la France dans la conquête de l’universalité, au lieu de se contenter des pâtes et des raviolis. Pour le reste, c’est la machinerie américaine. Ça bande dur et vite.

Aux temps analogiques du trente-trois tours, aucun zombi ne se serait permis au fond des derniers rangs près de la porte où je me tiens de regarder un porno américain. Personne : ça n’existait pas. Le zombi en rit et montre alentour sa bêtise qui ne choque personne. La vieille dame sur l’estrade leur parle de construction européenne sans savoir qu’elle joue dans un film de série Z et que Machete va arriver pour lui couper le bout des seins. Avant le numérique, l’érotisme avait du sens et les célibataires seuls et laids prenaient sans doute un bien meilleur pied que la chaîne de production des usines de Detroit du connard sur son Macbook™ air car tout vient à point à qui sait attendre. L’invention de la télécommande et du défilement rapide a ruiné notre imagination. Dans la ville où j’habitais petit, le cinéma porno s’appelait l’ABC. Je trouvais cela fascinant. C’était la seule façade d’avant-guerre près de la gare bombardée.

La grabataire sur l’estrade leur parle de Schengen.

Je pense au Luxembourg et à la Suisse, là où la mère de mes enfants est allée travailler avec son amant un week-end avant Noël, et à laquelle j’ai demandé de me ramener du chocolat, sachant parfaitement qu’elle n’y était pas. Elle revint avec trois tablettes de Toblerone™ libellés en Euros.... Comme quoi, le manque d’imagination nous menace, à coup sûr.

Le zombi du fond est aussi connecté par Skype™ avec sa mère, et envoie des textos sur son téléphone. Le porno en fond d’écran nous représente tous ensemble, avec le tsunami de l’ennui occidental en toile de fond. Les seins ressemblent aux gros ballons des anniversaires d’enfants au Texas, comme je les imagine, avec des barbecues et du méthane à cause des vaches.

Nous avons tout. Ne nous étonnons plus. De ceux qui partent couper des têtes, de ceux qui cherchent un dieu, de ceux qui ne veulent pas partager avec les fuyards, nos lâchetés.

A Noël, le petit veut des Légo™. Nous irons voir Star-Wars™ et ce sera la déception. Je cherche dans la lumière des toits de Paris ce samedi matin une illusion comme un kaléïdoscope des années soixante-dix, une illusion de cette époque-là, du orange et du flou. Mais rien. La fin du temps analogique est la fin du temps et celle de l’histoire. Yoshihiro Francis Fukuyama, tu n’as rien compris à rien. C’est parce que tu es Américain.

Et nous aussi, dorénavant.