Accueil > Généalogie du dégoût > Insomnie for ever
Insomnie for ever
lundi 14 septembre 2015, par
Il est minuit vingt et une. Théoriquement, le lave-vaisselle devrait se déclencher d’ici quelques minutes. Le lave-linge un peu plus tard. Théoriquement, ma prostate devrait me laisser tranquille jusqu’à six heures trente-quatre. Théoriquement, il me reste dix-sept ans à vivre.
Normalement, les enfants devraient grandir. La petite est à nouveau triste. Le petit a pleuré ce soir. Les deux grands sont adolescents.
Normalement, le reste de ma vie à venir ne va pas être très intéressant.
Dans mon lit à gauche, il n’y a plus personne.
Mais le pire est que je m’en rends compte assez souvent. Depuis que la femme de ma vie est partie pour le roi des cons, je ne m’endors pas avant une heure du matin. Ce n’est pas que je n’ai pas envie de dormir, c’est que quelque chose est cassé dans ma tête. Je ne sais pas quoi. C’est sans doute chimique ou hormonal. Je regarde mon réveil. Je remets mes lunettes je lis un livre. Il n’y a rien à faire. Après minuit, je suis en décalage horaire. Il faudrait que j’aille vivre aux Etats-Unis pour retrouver un sommeil normal. Comme si ma tête me disait d’aller loin, de laisser tomber cette vie en miettes et de reprendre quelque chose là-bas, là où je pourrais caler mon sommeil avec l’heure officielle d’un méridien six heures plus tard. C’est d’un triste de se dire que le bonheur passé était un capital mal placé - pour parler comme un libéral - et qu’il s’est volatilisé. Mauvais placement.
Je me sens comme un mauvais placement. Inutile et mal placé. Je ne devrais pas être là, je devrais partir, faire autre chose. Je ne dors pas et les petits sont malheureux. J’essayais de ne pas y penser. On m’a dit "Sois fort pour tes enfants". Vous parlez d’une histoire. Comment peut-on être fort pour ses enfants quand on a séparé papa de maman et vice-versa, et que ça leur fait mal au ventre matin et soir ?
Non, franchement, dans ma tête quelque chose m’échappe. J’ai l’impression que tout s’échappe, que j’aurais dû faire plus attention. Ce sentiment d’impuissance est à nouveau une constante (SIC), sauf que cette fois-ci, il concerne aussi mes quatre enfants. Quand ils sont là, je les trouve tristes, quand ils sont chez leur mère, je ne les trouve pas, et cela me peine.
Rares sont les pères qui m’ont dit la même chose. La vie est au confort. On m’a dit tu t’habitueras. On s’habitue au pire. Bien entendu. Et le pire est à venir. Mais je n’y arrive pas. Il y a un truc cassé dans ma tête. Depuis son départ à elle, j’ai un mal fou à m’endormir. Comme si, inconsciemment et comme dans une chanson bizarre, j’attendais qu’elle monte l’escalier pour venir se coucher. Comme si j’avais été habitué à cela. Parce que l’on s’habitue à tout et que l’on n’oublie rien. Enfin moi, en tous cas.
Il me reste dix-sept ans à vivre et ça n’est pas très sérieux, de les vivre comme cela.