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Vers la haine

jeudi 3 septembre 2015, par Grosse Fatigue

Qu’est-ce qui nous pousse vers la haine ?

Je me demande si j’y vais. Si elle m’attire. Si elle m’entraîne. Si je vais aller dans ses bras. La haine nous fait un bien fou. Sauf quand on en a fini. Mais elle m’appelle. C’est une sirène. J’ai vraiment envie de me laisser aller à la haine. Je me retiens. Puis-je haïr la mère de mes enfants pour ce qu’elle m’a fait ? Me quitter ainsi, puis revenir, puis repartir ? Détruire ce qui faisait ma vie, sans vergogne. Puis revenir parce que ça lui manque. Puis me dire qu’elle « baise » à nouveau avec l’autre ?
Et si c’était le but recherché ?

En regardant pour la vingt-septième fois La guerre des Etoiles, la vraie, les épisodes IV à VI, je me suis dit - je me suis souvent dit - que ce genre de film aurait fait une belle religion. Tout y est. Le côté obscur de la force est un universel. Bien plus que l’amour, cette réduction sentimentale d’un invariant biologique… Il est probable qu’un jour, dans cent ans, une véritable secte de Jedi™ ait vu le jour, avec sa philosophie, ses pratiques, ses églises, ses reliques. Ce que l’on y dit et ce que l’on y montre a une force de persuasion tout à fait équivalente à n’importe quel discours religieux. En plus fort peut-être, à cause des effets spéciaux et des personnages. Et puis, le cinéma numérique nous permet de revoir à l’envi les scènes fondamentales. Je me vois près de Yoda™. Il me conseille de ne pas passer du côté obscur. Si Jésus avait eu un camescope Hitachi™, comme David Vincent, le monde aurait fière allure peut-être ?

Ne pas passer du côté obscur. D’autres religions doivent enseigner cela, bien qu’un moine bouddhiste me semble trop agressif en Birmanie. Les philosophes nous l’apprennent, enfin, plus ou moins. Mais l’esprit a parfois besoin de détruire. Petit, j’avais totalement détruit une ville en papier que ma mère m’avait construite. Tout déchirer, tout écrabouiller. J’avais éprouvé une grande colère et une grande satisfaction. J’avais quatre ans. Je m’en souviens parfaitement.

Aujourd’hui quand j’y pense, je m’en mords encore les doigts.

Un ami me précise que la haine est bien trop motrice. Qu’elle est animée par les mêmes motifs que l’amour (qu’on ne m’en demande pas plus), et qu’il vaut mieux lui préférer la distance, le silence, l’élégance, la retenue, l’intemporalité du soulagement, la vie en quelque sorte, qu’il ne faut pas s’abaisser, se rabaisser, que l’on ne se traîne pas à genoux devant rien ni personne, nous les anarchistes, nous qui avons de la classe, nous qui pensons comme on peut, de notre mieux, nous qui sommes ouverts d’esprit et humbles : non pas la haine. Nous qui lisons des livres - mais elle les a lus avec moi - nous qui aimons tant la musique - mais elle en faisait avec moi - nous en photos, nous en photo ! - nous qui allons au cinéma - nous nous tenions la main - nous qui voyagions trop peu - elle était là aussi, partante - nous qui aimions les enfants et surtout l’enfance - je l’ai vue accoucher - nous qui sommes nous - nous disions « nous » à notre propos - nous qui sommes unis par une philosophie de la vie - j’ai cru qu’elle y croyait aussi - nous qui nous aimions - amen.

Non, ne pas s’abaisser. Et pourtant, casser une assiette, un pot de fleur, brûler une voiture à défaut de brûler son cœur, la regarder de loin et s’en foutre totalement, qu’est-ce que j’aimerais bien. Mais qu’est-ce que j’aimerais bien disons : trente secondes.

Je n’ai jamais plus construit de villes en carton avec des feutres colorés avec ma mère à mes côtés. Plus jamais. A vrai dire, je ne l’ai jamais aimée. Je sais bien pourquoi et c’est comme ça. J’ai regretté cet accès de haine. J’aimerais pouvoir être totalement détaché, lointain, et poursuivre mon chemin entre ma batterie et mon vélo, mes enfants et mes photos, les livres que l’on nous offre, les amis qui nous versent à boire. Accepter le paysage qui va avec l’âge, fêter mes cinquante ans l’année prochaine le cœur léger, avec une inconnue dans un endroit où je n’aurais jamais été, j’aimerais pouvoir faire cela.

J’aimerais en sorte, ne pas passer du côté obscur de la force. Et je découvre que ma religion à moi, c’est celle-là.

Il y a encore des progrès à faire.

Et puis, à l’instant, en montrant mes meilleures photos avec un tag rouge dans mon mac™ à l’un de mes collègues, la voilà qui apparaît dans Rome la nuit mon fils dans les bras. Elle est vraiment très belle et lui aussi. A l’époque, elle lui écrivait en cachette des textos torrides tout en posant devant le retardateur du Nikon™. L’Italie, c’est moche finalement.

On ne déchire pas les photos sur écran. Comme on a perdu en passant au numérique, comme on a perdu....