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Mélanges mélancoliques d’un dimanche en solitaire
dimanche 3 mai 2015, par
Dans la généalogie de mon dégoût, il y a les enseignants d’art plastique. Depuis la classe de quatrième, je les déteste. Inaugurateurs du remplacement de la sensibilité par le catéchisme du contemporain, ils ont tué en moi toute volonté de continuer le dessin. J’étais doué. Et c’est insupportable. C’est du moins ce qu’ils en disaient. "Fatigue, ce n’est pas parce que tu es doué qu’il faut continuer à dessiner, ce n’est pas ce que l’on t’a demandé". Le don était surtout une envie de dessiner en permanence, de faire mieux, de copier Rahan et Docteur Justice pendant que Houellebecq les lisait aussi. Dès la primaire, des copines me demandaient de dessiner leurs chiens. J’ai ensuite photographié des fesses et des seins.
En seconde, deux enseignants pathétiques du catéchisme en vigueur m’en voulaient à tout jamais de voir en Le Corbusier l’inventeur des barres et des tours, des cages à lapins, sous le prétexte grandiloquent non pas du nombre d’or, mais de l’hygiénisme et de l’angle droit. Je ne me privais pas pour leur dire que leur maison radieuse n’était qu’une blague pour parquer du prolo à pas cher... Mais contredire la catéchèse peut vous mener loin : je ne passerai jamais en première "Art plastiques" et me contentais, vu mon désintérêt total pour les mathématiques, d’une première économique et sociale, merci Gérard : tu m’as sauvé. Le professeur d’économie avait au moins l’honnêteté de ne pas croire en grand-chose, sauf en dieu. Je le pardonne.
A la librairie hier après-midi, dans la ville grise sous la pluie, deux ouvrages sur Le Corbusier. Oh joie ! C’était un facho ! Mais bien sûr ! Je m’en doutais un peu. J’ai toujours détesté les architectes et les urbanistes. Il suffit de voir les résultats. S’il n’y a pas d’amour mais que des preuves d’amour, il n’y a pas d’architecture, mais que des restes et des ruines. Les urbanistes ont promu la laideur et personne ne vient leur dire de se taire, de même que l’on ne remet pas en cause le pédagogisme à l’œuvre à l’école. Et pourtant, les preuves sont là. Aujourd’hui, la seule architecture qui vaille n’est pas grandiloquente, elle est minuscule, sereine, de bois et de paille, elle ne détruit rien en construisant, elle est faite d’amitiés sincères et d’entraide, de conseils et d’innovation pour de bon : j’aime les maisons du bois dont on se chauffe.
J’ai toujours mal à mon être quand j’entre dans cette jolie librairie. Un nouveau vendeur me demande si j’ai besoin d’un conseil, je souris en répondant non. J’ai tenu ton rôle si longtemps mon ami, tu finiras par savoir que peu de gens ont besoin de conseils dans les librairies. Il vaut mieux être client que vendeur ici, crois-moi. Combien de temps ai-je passé à regarder la pendule quand j’étais libraire ?
Au pied de mon lit s’amoncellent les livres à lire en attendant ma mort. Mais j’ai encore envie d’en prendre un ici. Et puis voilà Onfray, ronflant, beau parleur, j’aurais peut-être aimé être Onfray si j’avais été moins éparpillé. Le premier chapitre m’emballe. Son père est né en 1921, le mien en 1918. Va pour Onfray.
Et ce soir au lit : le dégoût. Voilà qu’Onfray nous fait l’apologie du champagne, de ses signes extérieurs de richesse, sous prétexte qu’il en connaît en rayon, nous faisant presque croire qu’il n’est pas là pour faire vendre de la Veuve Clito... Chez Onfray, il faut sauter des chapitres. J’aimerais avoir sa culture philosophique. Mais j’aimerais aussi, à le lire, être capable de présenter le silence comme le plus bel écho de l’âme humaine sans citer Cicéron en parlant de Le Corbusier. Car Cicéron.... je m’en fous un peu.
Je cherche toujours une nouvelle femme. Non pas une femme nouvelle comme on dirait un nouveau modèle. Juste une inconnue dont on ne pourrait pas faire le tour en un quart d’heure. Sur le conseil d’un lecteur (Merci Dimitri, j’ai perdu du fric), j’ai essayé de me faire adopter comme un clébard à la SPA. Oui, tu as raison, j’aurais dû mentir sur mon nom et accepter d’aller boire un gin-tonic avec des filles trop maquillées qui adorent Musso et Marc Lévy. Merci Dimitri ! J’aurais dû mentir sur mon âge réel et sur mon âge mental. J’aurais dû soustraire 17 à 49. Je ne sais pas ce que cela donne, mais ça donne envie. J’en ai quand même conclu sociologiquement quelques hypothèses à démontrer : les filles de vingt ans cherchent sur internet des types de leur âge. En masse. Anomie généralisée des réseaux sociaux et de la connectivité mon vieil Emile Durkheim (je fais mon Onfray). Il n’y a personne ou presque entre trente et quarante : c’est la drôle de guerre, le temps des enfants et du couple.
Puis viennent les rescapées de mon âge, les naufragées du couple, celles qu’il faut accompagner à la ménopause en faisant semblant d’avoir encore de l’amour dans le réservoir.
Sur TSF, Chet Baker - j’aurais aimé être Chet Baker - conclut pour moi.
I guess she’s not for me.