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Dupont-La -Joie : la guerre à venir

jeudi 2 avril 2015, par Grosse Fatigue

Nous déjeunons au chaud dans un restaurant tendance basque où l’on sert la même chose que dans un restaurant standard. Micro-ondes et assemblage sont les mamelles des prix d’appel. Nous parlons entre profs et ma vision sombre ne semble guère satisfaire l’appétit d’un ami qui n’y croit pas. Parce que moi monsieur, je connais les Dupont Lajoie. Pas seulement parce que j’ai osé les étudier dans le texte à l’université, lisant la prose de leurs chefs, m’endormant sur leur idéologie, soupirant sur leurs points de vue, sur leur « vue de droite » mon cher Alain. Non. Il y a autre chose que je sais d’eux. J’en ai lu des choses. J’en ai écouté des discours. Leurs tendances et leurs schismes, leurs amitiés et leurs camps d’entraînement. La vision terroir ou étatiste. La terre qui ne ment pas ou le retour du roi. Les fervents du petit Jésus qui ne le croient toujours pas juif bien que, quand même, à cette époque-là et à cet endroit-là, il semblerait que…. Ah oui, l’extrême-droite française ! J’ai même acheté le bouquin de Duprat : collector ! Je connais les bons mots et les jeux de mots. Les maux de tête qu’ils m’ont provoqué. Les insomnies aussi. Je connais leur symbolique, leurs croix, les celtiques et les autres, et leur préférée, stylisée ronde en tatouage aujourd’hui. La mode est au vulgaire. Etre un produit tatoué, c’est déjà être quelque chose. Je sais leur identité. La nationale, la régionale, la blanche, la locale. N’en jetons plus. Je sais qu’ils attendent leur heure. Ils y croient. Un jeune sur quatre aujourd’hui. Je savais bien que la télévision ferait des ravages une fois privatisée….
Mais il y a autre chose.
Ce ne sont pas les mémoires du Colonel Rémy. Ni les journaux d’avant-guerre. Ni même cette volonté, cette attente de guerre civile chez les plus toqués d’entre-eux, ceux qui voudraient enfin bouter les bronzés, à coup de pieds ou de pioches. Ce ne sont pas non plus les leçons de l’histoire. Bien que…. Quand je pense que Bach était allemand je crois, et qu’il est, à ce jour, avec deux ou trois autres peut-être, l’une des vagues preuves de l’existence de dieu…. Ce n’est pas non plus parce que je suis méfiant de nature, ou désemparé, ou même pessimiste. Encore moins parce qu’il me semble qu’il n’y a plus que des raisons d’être pessimiste. Ce n’est pas non plus parce que j’ai peur d’eux, et que j’ai déjà prévu de fuir avec mes enfants dès que l’alarme aura sonné. Si quelqu’un sonne. Mais qui sonne quand le mal s’immisce ?
Je ne le dis pas à cet ami. Il finit son gâteau basque. Je pense qu’il n’écoute pas les gens dans les PMU. Moi, cinq minutes par semaine. Le mercredi midi, en achetant Charlie et le Canard. Je dresse l’oreille. C’est pareil. Les gens dans les PMU, j’en connais plein. Et puis surtout, j’étais comme eux jusqu’à mes quinze ans. J’ai oscillé. En troisième, on m’a définitivement séparé des bons élèves. Ils faisaient allemand, je faisais semblant de faire espagnol. Nous étions trois à passer en seconde. Dans l’autre troisième hispanisante, un seul est allé au lycée général. Quelle mauvaise idée de faire espagnol. Les temps ont changé. Mais j’oscillais. Je nous vois encore en escadrille serrée, sans amitié franche, l’animosité permanente, à survoler la campagne, à parler des filles, des exploits des autres, les insultes et va-donc puceau ! Je me souviens des Dupont-Lajoie, j’en étais. Nos guerres se résumaient au duel Motobécane™/Peugeot™. Il fallait faire plus de bruit. Nous n’avions qu’un embryon de liberté. Nous détestions nos pères car ils étaient violents. Nous ne connaissions que cela. Je me souviens bien de l’un d’entre-nous si heureux de découvrir qu’en Afrique du Sud, « on pouvait dégommer des Négros , c’est légal ». Etre minuscule, ça n’est pas rien. Je sais de l’intérieur ce que pensent ceux-là. J’en étais. J’en suis désolé. Je l’ai dit à mes enfants. Jusqu’à quinze ans, j’étais raciste. Mais papa, pas toi ? Mais ma fille, seuls les imbéciles ne changent pas. Ne t’inquiète pas. Je suis vacciné. Je juge les gens à leurs actes. Ça suffira comme ça.
Mais papa, ça veut dire que, si tu les connais, tu vas savoir ce qu’ils risquent de faire ?
Bien sûr. Ils vont sortir leurs fusils de chasse et faire n’importe quoi dans les premiers jours d’après le premier tour. Et si la gauche est au second tour, les plus dingues d’entre-eux iront au carton. N’importe où, n’importe comment. Ils pensent que ça leur fera du bien.
Mais papa, tu y crois vraiment ? On n’est pas en 1940 quand même !
Justement ma fille, justement. Je les connais de l’intérieur. Ils tireront au hasard, là où personne ne peut se défendre. Ils feront dans l’anonymat. Ils en sont capables. Ne t’inquiète pas. Il faudra se cacher. J’ai tout prévu.