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Pas pleurer non plus

lundi 9 mars 2015, par Grosse Fatigue

Je viens de finir le livre de Lydie Salvaire. Pas pleurer. Non, ça n’en vaut pas la peine. Une belle histoire de la guerre d’Espagne. Tout y était en germe. Il y a longtemps, je le pensais déjà. Je pensais que la guerre d’Espagne était comme une sorte de graine de la guerre suivante, la grande, la mondiale. Mais aujourd’hui, il semblerait que la graine d’Espagne est celle de toutes les guerres, de celles à venir ou de celles qui nous entourent, celles où l’on massacre les civils. Car oui, la guerre est trop sérieuse pour la laisser aux militaires, et depuis la Guerre d’Espagne, on massacre aussi les civils. Il va falloir que je relise Bernanos. Clémenceau ne voulait sans doute pas dire cela.

J’étais à Royan il y a quelques jours. Nulle trace de guerre. Un front de mer paisible. Des bedaines à motos sur des Harley-Davidson rutilantes. Un simili de rébellion. J’étais le seul à lire Charlie j’imagine. On est loin du napalm qui a fait fondre la ville d’autrefois il n’y a pas si longtemps. La brume du soir faisait disparaître les bateaux du port comme reviendraient les revenants. La laideur de ce que d’aucuns nomment la modernité architecturale : certains s’y habituent. Je vois toujours comme un flou derrière des larmes la ville d’autrefois, celle, imaginaire, que je n’ai jamais connue. Quand je pense qu’Howard Zin était dans l’un des bombardiers... Et qu’il a cru que cette ville était la première à disparaître sous le napalm... Je vais revoir le Soldat Ryan.
J’ai fini le livre de Lydie Salvaire. Je tenais à lui dire que je comprends bien où elle veut en venir. Tout se résumerait presque à : on y vient.

J’ai éteint la radio il y a deux mois, au début de mon abandon. Je viens de la rallumer et l’on m’apprend - enfin, si l’on veut - qu’il paraîtrait que les voilà revenus. Chemise bleues azul ou noires, ou turbans et djellabas, fanatisme de l’entre-tuerie, pronostics sombres et prophéties de mes copains adolescents qui, dans les années quatre-vingt, voulaient en découdre avec les Arabes avant d’inventer Eric Zemmour, ce pantin inoffensif qui dit tout haut ce que peu pensent vraiment, mais voilà : on amplifie à force de compter en gigabites….

Il paraîtrait que l’on se lâche. Et le mot est à double-tranchant. Pour la lâcheté, il faudrait ne pas être naïf. On en a vu des silencieux dénoncer les voisins juifs, attendons qu’ils se réveillent. Les voilà qui frémissent : ils attendent l’heure qu’on leur promet à coups de sondages et de tartufferies. Il faut dire que même Onfray dit du bien d’Alain de Benoist. J’ai bien entendu, c’était ce matin sur France-Inter. Je me demandais aussi, je l’avoue, combien sont ceux qui lui écrivent ses fiches de lecture. Je comprends mieux maintenant le populisme de sa populaire université. Il semblerait que tout est bon pour dire n’importe quoi, dès que l’on passe à la télévision. Mes copains du bas de la classe moyenne, la quarantaine bien tassée et la bedaine en Harley, doivent être heureux de savourer leur adolescence aujourd’hui, en aboyant tels des chiens sur leurs propres enfants de divorcés : ils tiennent leurs vengeances. Quant aux prolos de mon époque, ils n’avaient pas le temps d’avoir ce genre de hargne contemporaine : ils cherchaient encore du travail, on avait l’illusion ferme en écoutant Blondie dans les auto-tamponeuses. La haine a remplacé la chaîne, et je visite à longueur d’ennui des usines sur Youtube, pour me persuader qu’il faudrait que mes enfants soient vétérinaires dans les quartiers chics, de Neuilly ou du XVIème, comme on les imagine en province, à soigner des Chihuahuas pour ses dames du Qatar ou de la haute, avec leurs visages de Bernadette Chirac. Je les vois le thé à la main et l’amabilité altière, parler de la dette à régler, celle à régler par les autres, en remerciant les policiers de bas étage de faire leur boulot.

Je ne suis pas bien fier d’avoir à subir le ramassis, celui qui me condamne politiquement correct à me taire quand je parle aux gens (si), parce que je ne suis plus d’accord - l’ai-je jamais été - avec rien, et surtout pas avec des convertis à l’exotisme me serinant que la laïcité est le respect de la religion alors que je croyais qu’il fallait, quand même, la mettre en veilleuse, voire - mais suis-je fou, naïf, ou d’une autre génération ? - voire l’éteindre, moi qui croyait que la laïcité était comme une promesse d’Auguste Comte, comme la première pierre à un arc, ou la corde je ne sais plus, celle qui nous permettait de penser qu’un jour - aujourd’hui pour ne pas le nommer, nous en aurions fini avec les croyances rances, et que nous allions savourer disons, couscous fromages et vin en parlant d’autre chose, de musique ou de parfums... La République avait quand même une certaine gueule.

J’avais tort. Qui ira me dénoncer ?