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Une faim de second degré
dimanche 25 janvier 2015, par
Le titre est faux. Mais il s’agit bien d’une sorte d’appétit perdu qui me noue l’estomac quand je pense à Cabu et à Wolinski. Ils sont tous partis en catimini, moins spectaculaires, Reiser, Desproges, Coluche. La génération. Les autres ne me font pas rire parce que je ne les écoute pas. Il semblerait que le propre d’une génération est justement d’éviter la suivante, pour s’asseoir sur ses propres fondations. Les nôtres : le second degré.
Il suffisait de faire une blague au second degré sur le nombre de points que rapportaient les mémés écrasées sur les Nationales 7 pour se faire gondoler les petites tables où l’on sirotait du Beaujolais du temps qu’on n’avait pas du tout d’argent. (Je m’aperçois que, de ce côté-là, dès que le célibat reviendrait, enfin, bon). Le second degré me joue encore des tours, avec les plus jeunes que moi. Aucun d’entre-eux ne peut comprendre ce qu’est le second degré. J’ai même l’impression d’être incapable d’en faire une définition. Dire le contraire de ce que l’on pense, provoquer, aller trop loin, juste pour rire, parce que la vie est dérisoire et que nous sommes quelques-uns encore à le savoir. De ceux qui ont perdu un copain au fond d’une piscine un soir de fête. Ou d’un cancer un soir de quarantaine. Le second degré nous aidait à passer les vitesses, il y a même sans doute un troisième degré, voire plus mais : les pragmatiques s’en agacent. Tout cela est si subtil, et inutile. L’époque est à l’utile, à l’immédiat.
J’ai un jour dit à une candidate qui parlait de sa grand-mère que, quand même, les vieux, ça pue un peu. Je me suis fait virer. Je sais que c’est mal, mais c’était vraiment moi. Cette habitude de ne rien prendre au sérieux, comme si seule la mort ou la promesse que l’on nous en fait méritait à elle seule que l’on évite l’humour, bien que je n’en sois pas bien sûr en relisant Desproges. J’essaye d’apprendre le second degré à mes enfants mais c’est inutile. Autant leur apprendre à utiliser un téléphone à cadran gris propriété de l’Etat. Tuer les derniers tenants du second degré, c’est comme tuer ma civilisation. La civilisation du recul, contrairement à celle du pragmatisme et de l’immédiat, de ce qui nous bouffe chaque jour. Chaque jour je regarde les gens acheter des choses. Dans la rue et dans les magasins. j’ai envie de leur demander si c’est pour les jeter tout de suite ou dans deux mois ?
Un SDF m’égaye à chaque fois que je le croise. C’est l’un des derniers tenants du second degré. Il parlait l’autre jour au chien moche d’une vieille bourgeoise en lui demandant s’il l’avait trouvée à la SPA. Nous étions deux à rire. Peut-être trois avec le chien, allez savoir.
Et pourtant, les chiens....