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Une étincelle : le clignotant

mardi 2 décembre 2014, par Grosse Fatigue

Nous en sommes là. C’est la fin de la civilisation. Parce que c’est la fin de la civilité. S’il fallait un signal faible pour nous le prouver, au-delà du tatouage, du voile, de la pornographie américaine, il suffirait d’attendre dans la rue.

L’automobiliste.

L’automobiliste est un autre. Mais parfois il entre en moi. Je deviens vraiment un automobiliste. C’est dur. Ce matin, j’ai essayé de faire la part des choses. Déjà, j’emmène les enfants à l’école en voiture. C’est un diesel. Pas français. Pas qui fume noir. Mais quand même. Je les emmène parce que c’est loin, plus d’un kilomètre. Parce que ça nous permet de traîner le matin. De faire un peu de musique vers huit heures quinze. Pendant un quart d’heure, les enfants tout sourire font boum boum pouêt pouêt et même un peu plus. Un quart d’heure de bonheur tous les matins, c’est un privilège. Quand les grands s’inquiètent de ce qu’ils ne feront pas plus tard, je leur dis de penser à maintenant. C’est bien de penser à maintenant.

Mais j’emmène les enfants à l’école. Mais j’attends devant l’école car une voiture bouge et semble vouloir repartir. Comme c’est la fin de la civilisation et de la civilité, de la politesse en général et de la générosité, comme c’est la fin et que l’on décapite au loin, les gens ne font plus attention aux autres. La première voiture s’éloigne. Une autre semble bouger. J’attends. Finalement j’avance. C’est un fait d’une banalité totale. J’ai même honte d’en parler à personne. Mais cela me fait du bien. L’autre ne bouge pas. J’avance. La voilà qui déboîte. Je fais un simple appel de phares, comme un appel de détresse. Et voilà ce père qui freine sec, comme pour provoquer l’accident, sachant que je serais - loi absurde - forcément en tort. Puis il m’empêche d’avancer plus loin. Puis il part. Je sais que tous les matins des milliers de gens comme moi se comportent comme lui. Alors que l’on a inventé le clignotant il y a très longtemps déjà, des pères de famille lui préfèrent la guerre. Ce petit incident de tous les matins devant toutes les écoles de France et d’ailleurs, c’est la guerre.

Je connais ce père. Il est gris. Il est d’un triste. Il est voûté. Il veut sa revanche. Il est contemporain. Je vais lui dire deux mots ce soir. Mais je ne sais pas comment faire. Dois-je lui dire qu’il suffisait de mettre son clignotant ? Dois-je lui dire que je ne savais pas s’il partait ou restait ? Ou bien même qu’il n’était pas nécessaire d’essayer de bousiller mon pare-choc avant parce que ça coûte cher et que c’est dérisoire ? Que peut-on dire aux gens qui ne communiquent plus avec les gens ?

Dois-je même lui parler ?